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MARGUERITE

Pensez-vous donc qu’on l’éprouve deux fois dans sa vie, cet amour-là, et jugerez-vous qu’un homme soit un fou, un insolent, lorsqu’il rencontre une femme qui le lui inspire et qui le lui rend, de faire tout au monde pour obtenir cette femme, pour l’empêcher de lui échapper et de se mésallier à un autre ? Oui, la véritable alliance, c’est celle-là, c’est l’harmonie de deux natures, c’est la sympathie invincible. Il y a des milliers de créatures qui meurent sans avoir jamais connu cet amour. Certes, on peut se passer de lui tant qu’on l’ignore… ; mais dès qu’on le rencontre, il est impossible de ne pas se dire tout de suite : C’est lui ! parce qu’il ne ressemble en rien aux autres. Dès qu’on le trouve, on ne peut plus vivre que par lui… Vous comprenez alors si on le regrette quand, l’ayant trouvé, on l’a repoussé ! Ô Marguerite, je vous en supplie, il est encore temps, interrogez-vous sincèrement. Demandez-vous si l’affection profonde et sans doute méritée que vous inspire votre cousin… mon Dieu, je me rends justice, il vaut beaucoup mieux que moi… si cet amour de naissance, de circonstance, d’habitude, de consentement, de parenté même, ressemble en rien à cet amour fatal, involontaire, impérieux, tout-puissant qui nous attire l’un vers l’autre, malgré nous, qui nous opprime, nous écrase… qui vous rend si belle, Marguerite, et qui me fait mourir !

Il se laissa tomber sur un canapé loin de madame de Meuilles et n’osa pas la regarder.

Marguerite était éperdue. Jamais Robert ne lui avait semblé plus séduisant, plus dangereux. Elle sentait bien qu’il avait raison et que toute son âme était à lui, mais sa volonté lui restait, à elle… elle ne l’aimait pas encore avec sa volonté. Elle résista vaillamment.

— J’avoue, dit-elle, que je vous trouve très-aimable et que vous auriez pu prendre sur moi beaucoup d’empire… mais j’aime mon cousin.

— Non ! s’écria Robert avec violence, vous ne l’aimez pas !… Tenez, demandez-le-lui ; il sait cela mieux que nous !

Madame de Meuilles, épouvantée, retourna la tête et elle aperçut derrière elle M. d’Arzac. Robert l’avait vu entrer dans le premier salon. Un moment elle crut que M. de la Fresnaye