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OU DEUX AMOURS

pelez, une tyrannie de l’amour !… Dites, soyez de bonne foi… Non ?

Elle n’osa dire non ; elle retrouvait ce regard qui l’avait tant émue ; elle subissait son charme… Pouvait-elle le nier ?

La malheureuse jeune femme était en proie à une angoisse indicible, mélange de tendresse et de haine, de répulsion et d’attrait. Elle était bien faible pour une lutte si terrible ! Un moment il lui sembla qu’elle allait devenir folle… Quel supplice ! Ne pouvoir commander à son cœur !… Sentir qu’il vous trahit, qu’il vous échappe… L’avoir donné loyalement, volontairement à qui l’a mérité, et le voir se donner lui-même, malgré vous, à qui n’a rien fait pour le conquérir ! Ne pouvoir plus gouverner son regard, le sentir brûler et ne pouvoir l’éteindre… comprendre qu’il dément chacune de vos paroles et ne pouvoir reprendre ce qu’il a dit malgré vous !… C’est le supplice du coupable que de menteurs récits allaient justifier et qu’un témoignage sincère vient tout à coup confondre… Elle luttait pourtant avec courage… Mais le combat lui-même était un aveu, un aveu qu’il acceptait avec ivresse ! Pourquoi baissait-elle les yeux prudemment ? c’est qu’elle redoutait leur langage. Pourquoi donnait-elle à sa voix des accents durs et saccadés ? c’est qu’elle sentait sa pauvre voix s’attendrir à chaque instant malgré elle ; c’est qu’elle tâchait de déguiser, sous une fausse impatience, son invincible amour.

— Ah ! vous êtes bien coupable, madame, dit-il en se levant comme s’il partait, car vous allez vous lier à jamais à un honnête homme que vous n’aimez pas.

— Monsieur de la Fresnaye ! dit Marguerite révoltée.

— Pourquoi vous fâcher ? En quoi ma conduite vous semble-t-elle un affront ? Est-ce que je veux vous perdre, vous compromettre, vous afficher ? Je veux vous donner ma vie, est-ce une injure ? Je veux vous épouser… parce que je crois que je vous conviens mieux que personne et qu’il est dans notre destin de nous aimer. Pourquoi feindre ? Pensez-vous donc que je ne souffre pas autant que vous ? Cette émotion violente que vous cachez si mal sous une fausse dignité, cette émotion qui vous fait pâlir, rougir, trembler comme moi, je la ressens aussi, et j’ai bien le droit de la reconnaître, c’est la mienne !…