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INTRODUCTION

Mensonge !… c’est l’avoir perdu pour jamais ! Être aimé… c’est être maudit, c’est être voué à la douleur sans retour ! Sitôt que vous êtes aimé, le malheur et la mort vous regardent et vous forcent à choisir entre eux ; ces divinités jalouses veillent sans cesse à notre porte ; elles écoutent nos pensées, elles retiennent tous les noms chéris que les voix émues ont prononcés… et il vous faut choisir, malgré vous, entre un amour fatal, désespéré, qui vous laissera vivre, et un amour sublime et religieusement partagé qui vous fera mourir.

Un amour noble et pur inspire plus d’envie que tous les honneurs, toutes les richesses et toutes les puissances de la terre… Être aimé, c’est de tous les succès celui que l’on pardonne le moins. Le véritable amour attire les tempêtes du monde comme les hauts rochers attirent les tempêtes des cieux. Deux êtres qui s’aiment, ce sont deux parias, mais des parias qu’on envie…

La société tout entière se ligue contre eux. Les femmes, les hommes, en les montrant du doigt, se disent avec rage : Ils s’aiment ! c’est-à-dire : Ils nous méprisent et nous ne sommes plus rien pour eux ! Ils s’aiment ! c’est-à-dire : Ils passent devant nous sans nous voir ; ces richesses, que nous avons acquises avec tant de peine, ils n’en font point de cas ; ces titres pompeux auxquels nous avons sacrifié notre cœur et notre jeunesse, ils ne les désirent point ; ils ont un orgueil plus haut que notre orgueil ; ils possèdent un trésor plus précieux que nos trésors… ils ont leur amour ! Ils ne connaissent rien de nous que nos défauts, et ils en rient ensemble. En effet, cette fidélité est un outrage ; ces deux êtres qui se suffisent à eux-mêmes, qui vivent isolés dans la foule, sont des révoltés qu’il faut punir… et la société tout entière s’entend pour faire justice de leur insolent bonheur.

Alors une conjuration tacite s’organise contre eux dans le monde. De sourds bruissements annoncent que le sol va bientôt trembler sous leurs pas. Ils se tiennent par la main, ils se regardent avec confiance, et chacun dit à l’autre en même temps : Je ne te quitterai pas.

Mais bientôt les ennemis et les ennemies fondent sur eux de toutes parts, ceux-là avec des outrages, celles-ci avec de douces