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OU DEUX AMOURS

mes défauts, quelque chose qu’elles jugent devoir vous plaire ; elles savent cela mieux que moi ; je m’en rapporte à elles…. Comment expliquerais-je, si ce n’était par cette crainte qui les trouble, comment expliquerais-je la haine que me montre madame votre mère ? Cette grande haine n’est-elle pas un symptôme flatteur ? Qu’ai-je fait pour la mériter, quel crime a-t-elle à me reprocher ? J’ai sauvé la vie à son petit-fils, je l’ai empêché d’être dévoré par une louve qui se jetait sur lui. Ce n’est pas là une méchanceté ! Eh bien, j’aurais livré votre enfant à cette bête féroce, je serais cette bête féroce elle-même, que madame votre mère ne me témoignerait pas plus d’horreur. Que dois-je voir dans cet acharnement d’une personne qui vous adore contre moi qui vous aime ? Je n’y peux voir qu’une jalousie qui m’honore et m’encourage. Votre mère reconnaît dans ma tendresse une rivalité, et elle a raison.

— Vous vous trompez, interrompit Marguerite, irritée de la justesse de ces observations et cherchant à se défendre ; ma mère ne hait pas ceux qui m’aiment ; elle a pour M. d’Arzac une profonde affection ; elle n’est pas jalouse de lui…

Elle crut avoir donné une leçon de convenance à M. de la Fresnaye par cette réponse qui rappelait ses engagements ; mais il s’écria :

— Oh ! je le crois bien qu’elle n’est pas jalouse de lui, il vous aime en esclave ; il ne lui ôte rien de son autorité. Il fera ce que vous voudrez, et comme ce que vous voulez est ce qu’elle veut, elle est tranquille, vous resterez sous son empire. Sa tendresse impérieuse et l’amour docile d’Étienne s’entendent à merveille, ils sont associés pour vous aimer… Mais dans ma pensée, à moi, elle devine une rivalité, une autorité au-dessus de la sienne, et elle voit juste, car si vous me permettiez d’avoir l’honneur de vous aimer, je vous aimerais en maître absolu.

Il dit ces derniers mots d’un ton très-respectueux, mais il jeta sur Marguerite un regard qui la fit frémir.

— Ah ! mon Dieu, dit-elle avec une petite toux affectée, que j’aurais peur d’être aimée ainsi !

— Vous croyez ? C’est alors que vous ne tenez pas à être aimée.