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OU DEUX AMOURS

de sa destinée entière. Marguerite était pour lui plus qu’une beauté brillante, qu’une conquête flatteuse : c’était la femme de ses rêves, la femme auprès de laquelle il voulait passer sa vie, la femme qu’il voulait épouser. M. de la Fresnaye se disait : « Si je n’épouse pas Marguerite, je ne me marierai jamais ; » et comme il jugeait qu’il était convenable qu’il se mariât, il s’attachait doublement à Marguerite, parce qu’il sentait que jamais une autre femme ne lui inspirerait en même temps ces deux sentiments si contraires, qui seuls pouvaient, l’entraîner, sentiments qu’il est bien rare d’éprouver ensemble : la confiance et la passion.

Le soir même, Robert rencontra chez sa tante madame d’Arzac. Il voulut la saluer, elle affecta de ne le point voir et lui tourna le dos. « Maintenant, pensa-t-elle, il n’osera plus venir chez ma fille. » Et puis elle commença à lancer indirectement contre lui une mitraille d’épigrammes : c’étaient des allusions détournées, mais qui allaient droit au but comme une flèche, des sous-entendus transparents comme du cristal, des réticences pleines d’abîmes, des traits mordants, acérés, empoisonnés, qui devaient tuer un homme sur l’heure. M. de la Fresnaye était devant la cheminée et il regardait rouler ce torrent d’injures sans mot dire. Madame d’Arzac voulut voir comment il supportait cette attaque, elle leva hardiment les yeux sur lui… Ô rage ! ô mystification sans pareille ! le monstre la contemplait avec une extrême bienveillance, il avait un air doux et heureux qui semblait dire : « Vous avez peur, c’est donc possible ? »

Quelques jours après, il rencontra sur le boulevard M. d’Arzac. Étienne le salua, mais avec hauteur et en pâlissant. « Bon ! pensa Robert, voilà des gens qui m’encouragent. » Il alla voir madame de Meuilles.

On lui dit qu’elle était sortie ; mais Gaston, qui avait entendu les chevaux de M. de la Fresnaye piaffer à la porte et qui le guettait au passage, lui cria : « Ne les croyez pas, maman est chez elle ! ». Puis il alla en courant chez sa mère, et lui dit :

— N’est-ce pas, maman, qu’on ne doit pas le renvoyer, lui ?

— Jamais, répondit Marguerite malgré elle, en apercevant Robert ; et ce fut la mère qui parla. Quand Gaston était présent,