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MARGUERITE


XIII.

Comme tous les mauvais sujets, M. de la Fresnaye était très-prude. Les mauvais sujets ont, en général, une grande austérité de principes ; ils ne reconnaissent que la vertu absolue ; pour eux, il n’y a que deux catégories de femmes : les courtisanes et les matrones romaines, les Cléopâtres et les Octavies, c’est-à-dire les femmes qui aiment tout le monde et celles qui n’aiment personne ; les femmes dont on parle toujours et celles dont on ne parle jamais. Pour celles qui ont aimé quelqu’un et dont on a parlé une fois, ils n’ont aucune indulgence, ils n’admettent point d’excuse ; pour eux, les faiblesses du cœur, les passions, les fatalités ne comptent point. Il y a une chose qu’ils ne pardonnent jamais à leur maîtresse ; c’est d’être leur maîtresse, quels que soient ses remords et sa fidélité. Pour leurs sœurs, ils se montrent d’une sévérité, d’une susceptibilité farouche ; ils les surveillent, ils les espionnent, ils les enfermeraient volontiers… Et dans les sermons qu’ils leur adressent, ils trouvent, pour flétrir l’inconduite des femmes du monde, des expressions de mépris et d’opprobre qu’envierait un prédicateur tonnant. Un mauvais sujet, c’est un ancien complice devenu juge, et juge inexorable : il ne reconnaît point de circonstances atténuantes ; ne lui confiez jamais une faiblesse, même seulement rêvée, c’est un confesseur sévère, d’une austérité désespérée ; il ne croit ni au repentir ni à la pénitence.

La duchesse de Bellegarde avait plu à Robert précisément à cause de sa bonne réputation et de l’amour qu’elle avait pour son mari, et du jour où elle eut trompé ce mari tant aimé, elle perdit aux yeux de Robert tout son prestige. Elle descendit de son piédestal et rentra dans la foule des femmes vulgaires qu’on peut quitter sans égard, parce qu’elles peuvent se consoler sans peine. Cependant la manière noblement résignée, affectueusement digne, dont elle avait accepté ses aveux lui avait fait retrouver une partie de son estime, et sans doute s’il ne s’était agi que d’un autre amour, il aurait eu le courage de sacrifier cet amour et de rester tout à elle ; mais il s’agissait