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MARGUERITE

— Elle vous aime, je le crois, et… je le sens ! ajouta-t-elle d’une voix éteinte.

Il y avait de la grandeur dans la manière dont la duchesse acceptait ce rôle douloureux de confidente, elle si digne d’être le plus charmant des secrets. Robert l’admira davantage encore pour sa bonté et pour sa générosité ; elle devina cette admiration et comprit que cette admiration lui acquérait la reconnaissance de Robert pour toujours.

— Ce fol amour passera, se dit-elle, mais le sentiment que je lui inspire aujourd’hui survivra à tout.

Un peu d’espoir rentra dans son âme désolée ; elle pleurait en silence, mais on devinait que sa résolution était prise ; avant de la faire connaître, elle laissait le temps à son agitation de s’apaiser, comme un voyageur qui vient de gravir péniblement une montagne attend que les palpitations de son cœur soient arrêtées avant de reprendre sa route.

— Que m’ordonnez-vous ? dit Robert avec une feinte soumission.

— Je vous ordonne de l’aimer, dit-elle, et de rester ici ; moi, je partirai demain.

Robert n’eut qu’une pensée : dissimuler sa joie.

— C’est comme cela que vous me consolez ? dit-il.

— Je ne puis rien pour vous maintenant, votre accès de folie doit avoir son cours ; tant qu’il durera, cette puissance sur votre esprit que vous voulez bien me reconnaître serait sans valeur ; j’attendrai qu’il soit passé.

Elle dit ces mots avec plus d’orgueil que de douleur, et M. de la Fresnaye, croyant avoir perdu son amour, le regretta.

— Ah ! vous attendrez que mon accès de folie soit passé ! En vérité, dit-il tout à coup en se rapprochant d’elle, je crois qu’il l’est déjà ; je ne sais plus pourquoi je me tourmente… je me figure que j’aime une autre femme… Pourquoi vous causé-je tant de peine, quand nous pourrions être si heureux ! Nous nous aimons… rien ne nous sépare….

La duchesse, dans sa joie, fut imprudente.

— Ils s’aimaient aussi, pourquoi les séparer ? dit-elle.

— Parce que je ne veux pas qu’ils s’aiment !… reprit M. de la Fresnaye avec violence.