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MARGUERITE

et il craignait qu’un moment de bonheur usurpé ne fût le dernier de sa vie… Mais quel supplice, et que ce mois d’attente lui paraissait long !

Madame d’Arzac vint avec sa provision de médisances. Tout ce qu’elle avait pu ramasser de laides histoires, de propos révoltants, d’horreurs de toutes espèces contre M. de la Fresnaye, avait été recueilli par elle avec un zèle religieux. Elle était comme ces personnes qui soignent un blessé, ou un malade, et qui arrivent toujours chez lui avec une foule de renseignements et de recettes relatifs au mal qu’il faut guérir. Sa malveillance contre M. de la Fresnaye tenait de la monomanie ; elle oubliait pour lui sa bonté naturelle, son éducation distinguée, les lois de la politesse même. Son esprit impérieux devinait le caractère despotique de Robert ; la tyrannie de la maternité s’épouvantait d’avance de la tyrannie de l’amour. Madame d’Arzac ne voyait point dans M. de la Fresnaye un prétendant qui voulait épouser sa fille, mais un ravisseur qui cherchait à la lui enlever, et tout lui semblait permis pour la défendre contre cet ennemi redoutable.

C’était peut-être la seule mère, dans tout Paris, qui eût peur d’avoir pour gendre ce jeune homme si bien né, qui avait de si grandes alliances et une fortune si bien établie en belles et bonnes terres !

Elle trouva les jeunes fiancés souriants, joyeux, confiants comme s’il n’y avait aucun rival menaçant à l’horizon. Elle eut l’air d’avoir oublié ses craintes de la veille ; mais elle mit à part dans sa mémoire toutes les méchancetés qu’elle avait rapportées de ses courses du matin, bien décidée à les lancer à propos, si l’ennemi osait reparaître.

Vers la fin de la journée, on apporta à madame de Meuilles des lettres et des cartes de visite. Elle avait fermé sa porte ce jour-là ; plusieurs personnes étaient Venues ; parmi les noms laissés, elle chercha celui de M. de la Fresnaye. Elle s’accusait elle-même et se disait que la manière dont elle l’avait traité devait l’encourager à revenir la voir plus tôt qu’il n’aurait osé le Faire ; mais M. de la Fresnaye ne s’était point présenté chez elle. Alors, elle se persuada qu’elle n’avait rien fait pour l’y attirer, et ses remords s’adoucirent. Elle se répéta plusieurs