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OU DEUX AMOURS

avoir choisi un superbe lampas pour la tenture générale de l’appartement, ils s’amusèrent à chercher des dessins bizarres pour les fauteuils, les petites chaises, les canapés de fantaisie. Ces soins de ménage, pris en commun, rendaient à Étienne sa confiance, et quand le marchand d’étoffes fut parti, il se sentit rassuré au point de s’écrier avec une grande indulgence pour ses propres tourments :

— Ah ! Marguerite, que je me suis ennuyé hier !

— Quel dommage que ces vilaines gens soient venus nous troubler ! répondit-elle : cette musique était charmante… je les ai maudits. Le monde ne me vaut rien à moi, j’ai la tête trop faible ; le monde me grise… Ce bruit de commérage, ces flatteries, cet empressement dont on est l’objet, ces femmes qui vous regardent, qui vous dévisagent… tout cela m’étourdit, je ne sais plus ce que je fais. Je crois que si j’allais toujours dans le monde, je deviendrais vaine comme les autres ; je courrais après les succès, les hommages… je n’y tiens pas, mais quand on est avec toutes personnes qui ne pensent qu’à plaire, on finit par vouloir plaire aussi, n’est-ce pas ? C’est comme pour le jeu, on ne tient pas à jouer, mais une fois qu’on a les cartes en main, on veut avoir des atouts et gagner, et l’on se passionne et l’on se laisse emporter à faire des choses qui ne sont pas du tout dans votre caractère, et dont on finit par se repentir… Ah ! j’en ai assez du monde ! Étienne, nous n’irons jamais.

Étienne était vivement touché de cette confession naïve, pleine de tendresse et de remords. Il voulut aider Marguerite à se pardonner à elle-même.

— Je comprends, dit-il, que vos succès vous aient enivrée, madame… Vous étiez bien belle hier ! quelle fraîcheur ! quel éclat !

— Je le crois bien, j’avais la fièvre. Mais je paye cher ce triomphe aujourd’hui : je suis hideuse, regardez-moi.

Elle s’approcha de lui et il remarqua qu’elle avait beaucoup pleuré. Oh ! comme il la trouvait jolie ! Avec quelle passion il l’aurait pressée dans ses bras ! Mais Marguerite était très-pieuse, et tant qu’Étienne n’était pas son mari, il n’avait que le droit de lui baiser la main. Lui-même était très-superstitieux,