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MARGUERITE

de portières, de tentures ; il avait dit qu’on les portât chez madame de Meuilles. Elle devait choisir dans le nombre ce qui convenait à telle ou telle pièce de son appartement. Marguerite prétendit qu’elle n’oserait pas se décider toute seule ; elle fit attendre le commis du magasin et envoya chercher M. d’Arzac.

Étienne était plongé dans le plus profond désespoir ; il méditait un adieu, une rupture ; sa seule préoccupation était de ne point faire d’éclat et de ménager la réputation de Marguerite. On lui remit son billet ; il le laissa sur la table et dit : « J’enverrai plus tard la réponse… Elle va s’excuser, pensait-il, je ne veux rien croire, je souffre trop pour n’avoir pas raison de souffrir. Elle m’écrit qu’elle m’aime encore ; qu’elle a beaucoup pleuré parce que je suis parti, sans la voir ; elle m’écrit que je suis injuste. Ah ! mon Dieu, je lui pardonne ; mais il ne dépend plus d’elle de me rendre la foi !… » Il ouvrit le billet et il resta étourdi, déconcerté après l’avoir lu… Pas d’excuses, pas de protestations ; il n’y avait que ce seul mot :

« Le marchand d’étoffes est là, venez vite m’aider à choisir. »

Le marchand d’étoffes ! comme il l’avait oublié !

Le marchand d’étoffes ! cela voulait dire : Nous arrangeons ensemble notre appartement pour nous marier dans un mois.

Ce mot fut magique. Il rendit à Étienne la vie ; par ce mot, son chagrin lui fut retiré du cœur comme une lame d’acier par une main habile.

Étienne courut chez madame de Meuilles.

Elle craignait qu’il ne refusât de venir, elle pensait qu’il faudrait lui écrire encore une fois, et se justifier des torts de la veille pour obtenir son retour. Comme elle fut joyeuse de le voir entrer !

— C’est vous ! s’écria-t-elle.

— Eh bien, ne m’avez-vous pas fait demander ?

— Oui, mais…

Elle n’acheva pas et se troubla. Étienne osa la regarder ; il la trouva divinement belle, presque aussi belle que la veille ; cette beauté qu’elle avait à cause de lui le consola de celle que lui avait donnée la présence d’un autre. Sa jalousie tomba, il redevint heureux. Et comme deux enfants, ils se mirent à jouer avec les riches étoffes qu’on étalait à leurs yeux. Après