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OU DEUX AMOURS

cherchait en vain à s’expliquer ce qui se passait dans son cœur. Un instant, cette affreuse idée qu’elle pourrait aimer M. de la Fresnaye se présenta à son esprit ; mais elle la repoussa bien vite par ces mots si raisonnables : « Je ne peux pas l’aimer, je ne le connais pas. » Et elle se rassura en se disant encore : « Ce serait le malheur de ma vie, donc cela ne peut pas être. »

Une autre femme aurait eu sans doute la malice de se dire : « Cette grande émotion, cet attrait qu’il m’inspire, sont bien naturels : il a sauvé mon enfant, mon âme s’élance vers lui. Ce souvenir, à sa vue, me trouble, m’exalte… » Mais Marguerite était de trop bonne foi avec elle-même ; elle savait très-bien que si le sauveur de son enfant avait été un vieux notaire ou un gros major allemand, elle n’aurait pas éprouvé pour lui cette émotion ni cet attrait ; ce qu’elle éprouvait était donc tout autre chose que de la reconnaissance : c’était une sympathie dangereuse, coupable, qui ressemblait à de l’amour… mais qui n’était pas de l’amour… parce que… parce qu’elle ne voulait pas que ce fût de l’amour !

Et puis il y avait encore une bien meilleure raison pour qu’elle n’aimât pas Robert de la Fresnaye, c’est qu’elle aimait Étienne d’Arzac. Or, comme on ne peut pas aimer deux personnes à la fois, du moment où il était avéré qu’elle aimait l’un, elle ne devait pas craindre d’aimer l’autre !

Enfin elle se dit, — toujours pour expliquer le trouble où la jetait la présence de cet homme qu’elle n’aimait pas, — elle se dit que lui l’aimait et qu’il était ainsi très-naturel que cet amour qu’il lui avait déclaré si singulièrement et qu’il lui témoignait avec nue tendresse si franche, la rendît timide, embarrassée en sa présence, lui causât même une certaine confusion qu’on pouvait prendre pour de l’amour ; mais comme elle était pleine de bon sens et d’un caractère très-décidé, elle conclut qu’il y avait un moyen certain de faire cesser toutes ces craintes, c’était d’éviter de voir désormais M. de la Fresnaye, et elle fit défendre sa porte pour tout le monde.

Elle attendait Étienne, mais elle sentait bien qu’il ne viendrait pas. Un prétexte pour lui écrire se présenta, elle le saisit avec empressement. Étienne avait, dans plusieurs, magasins, fait mettre de côté diverses étoffes d’ameublement, de rideaux