Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
MARGUERITE

— Elle va se marier, dit la parente de la duchesse, qui trouvait la malice de la dame peintre un peu trop grossière.

— Oui, reprit-elle, elle doit épouser son cousin ; on vient de me le montrer. Quelle belle tête il a, lui aussi ! il ressemble beaucoup au César Borgia de Raphaël.

Pour cette artiste, non pas de profession, mais de prétention, on ressemblait toujours à quelque toile. Apercevait-elle un vieillard déguenillé ? c’était un mendiant de Murillo ; un portier chauve ? c’était un moine du Zurbaran. Cette érudition pittoresque n’avait d’autre but que de rappeler le superbe talent de la dame, c’était une manière de dire : Parlez-moi donc de mes travaux, et faites savoir à ces messieurs, qui l’ignorent, que je suis un peintre distingué.

— Voyez, s’écria-t-elle avec un enthousiasme assez bien joué, en désignant Marguerite, regardez-la maintenant : est-il rien de plus adorable que cette ligne, que les attaches de ce col si harmonieusement penché !… et cette torsade d’or, quelle belle puissance de cheveux !

La duchesse, impatientée, regarda enfin Marguerite… mais elle fut quelques minutes avant de la reconnaître. À sa vue, elle éprouva, pour la première fois de sa vie, un sentiment de jalousie. Madame de Meuilles n’était plus la jeune mourante à la taille courbée, fleur languissante inclinée sur sa tige, qui ne lui inspirait qu’une pitié affectueuse : c’était une femme dans tout l’éclat de la jeunesse, grande, svelte, élancée, élégamment parée ; c’était une beauté incontestable pour les gens du monde et pour les artistes ; c’était une femme à la mode, c’était une rivale enfin !

La duchesse se vit menacée dans sa puissance, son sceptre de beauté trembla un moment dans sa main ; mais lorsque, après avoir avec effroi admiré Marguerite, elle vit M. de la Fresnaye auprès d’elle ; quand elle remarqua l’étrange expression de son visage, l’ardente pâleur de son front, la tristesse heureuse de son regard toujours si fier, si insolent ; quand elle comprit, dans ce changement de tout son être, la métamorphose d’une passion nouvelle, elle se sentit désarmée, vaincue.

Depuis deux jours, Robert n’était point venu chez la duchesse, et depuis quelque temps il évitait de parler de son prochain