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MARGUERITE

Faire jouer à la plus belle femme de Paris un tel rôle, c’était impardonnable, c’était une rouerie infernale ; mais M. de la Fresnaye, on le sait, était le fils d’un démon, et ce n’est pas le jour où il voulait plaire qu’il l’oubliait. Son double caractère se révélait encore dans cette circonstance : ainsi le but était noble, le moyen cruel ; il employait une méchanceté… pour exprimer le plus pur amour.

L’entrée de madame de Bellegarde dans un salon causait toujours une sorte de rumeur : les hommes venaient la saluer avec empressement, les femmes étudiaient sa parure ; ses amies se hâtaient de faire valoir leur intimité avec elle en l’appelant câlinement par son nom de baptême : « Bonsoir, Isabelle, — Bonsoir, Betzy, » — selon leur rang d’amitié. — Et elle avait pour tout le monde un sourire aimable, un mot gracieux. Elle devait aller au bal de l’ambassade d’Angleterre, elle était couverte de diamants et parfaitement bien mise ; on ne se lassait point de l’admirer. Les femmes, que la beauté de madame de Meuilles commençait à impatienter, accueillirent la duchesse comme une vengeance : « Voilà une belle femme ! » disaient-elles tout haut ; ce qui voulait dire : « Votre madame de Meuilles n’est plus rien à côté d’elle… » Mais, par compensation, une parente de la duchesse, que les succès de la duchesse ennuyaient depuis longtemps et tous les jours, voulut s’armer contre elle des succès de Marguerite. Après lui avoir dit mille flatteries, elle ajouta : — Il est temps que vous arriviez, ma cousine ! nous avons ici une merveille dont tout le monde raffole ; madame R…, qui s’y connaît, puisqu’elle peint, disait tout à l’heure qu’elle ressemble à la Vierge du palais Pitti, vous savez, cette madone si admirable !

— Qui ? demanda la duchesse un peu inquiète.

— Madame de Meuilles.

— Ah ! je la connais.

Et la duchesse fut tout à coup rassurée ; elle trouvait Marguerite fort jolie, mais elle l’avait toujours vue maigre, épuisée, mourante, et cet astre de beauté ne pouvait s’imaginer que la faible lueur d’une étoile tremblante pût faire pâlir son éclat.

M. de la Fresnaye avait profité de l’agitation générale pour s’approcher de Marguerite ; et leur émotion fut bien vive quand