plus piquantes échappaient à son éloquence. Les sots ne manquaient pas autour d’elle pour ramasser les miettes qui tombaient de sa table, et bientôt ses bons mots étaient colportés de salon en salon, altérés, dénaturés par la malice, et surtout dépouillés du sentiment généreux qui les avait inspirés ; car, lorsqu’elle employait ses armes, c’était toujours pour défendre un ami, pour laver une personne innocente d’un soupçon qu’une autre méritait ; jamais un sentiment personnel n’éveillait sa malignité ; mais par malheur ses plaisanteries étaient bonnes, elles faisaient image ; elles étaient empreintes, pour ainsi dire, de cette poésie de la gaieté qui la colore et la rend vivante ; elles restaient ; ceux qu’elle frappait ne s’en relevaient point, et de là venait que madame de Clairange passait pour une femme méchante, qu’il fallait craindre. Eh ! sans doute, il fallait la craindre et la fuir même, lorsqu’on vivait d’une turpitude ou lorsqu’on étalait un vice.
Valentine gémissait de cette injustice du monde envers sa mère, et plus encore de la réputation d’angélique bonté que ce même monde, toujours dupe et toujours amant de la médiocrité, accordait à la nouvelle madame de Clairange.
Que de fois Valentine compara cette bonté factice et stérile avec la noble et sincère générosité de sa mère ; avec ce dévouement sans borne, ce zèle éclairé d’une amitié vivace qui n’est arrêtée dans ses élans ni par la certitude de se nuire ni par la crainte de déplaire ! Valentine se rappelait avec quelle chaleur sa mère faisait valoir l’esprit et les avantages de ses amis ; quel empressement elle mettait à les servir ; que de vieux parents vivaient de ses dons ; que de malheurs elle avait prévenus par son habileté bienveillante ; que de familles elle avait réconciliées ; que d’ennemis elle avait rapprochés ; que de conseils bienfaisants elle avait donnés à son préjudice ; que de femmes soupçonnées réhabilitées par elle ; que d’enfants repoussés lui devaient leur brillante existence ; que de talents méconnus tenaient leur prompte réputation de ses éloges… Valentine se rappelait aussi combien cette femme, d’une gaieté si vive, savait trouver de paroles consolantes pour la douleur, et elle se demandait si cette bonté active et spirituellement dirigée, cette générosité de toute la vie ne valait pas la bienveillance