— Mon frère s’est battu hier avec le fils du général M….
— Gaston est blessé ? demanda madame de Pontanges.
— Oui, mais légèrement ; un coup d’épée dans le côté droit… Ce n’est, dit-il, qu’une égratignure… N’importe, j’irai demain à Paris.
— Vous dit-il le sujet de sa querelle ?
— Oui. Une discussion politique… vous savez que ses opinions sont très-prononcées.
— De qui parle-t-on ? demanda tout bas M. de R… à son voisin.
— Du prince de Loïsberg.
— Et quelles sont ses opinions ?
— Cela ne se demande pas : celles que son rang et son nom lui imposent ; il est légitimiste par sentiment et par devoir. Les Loïsberg et les Montmorency sont les hommes de la royauté !
— Pourquoi pas les hommes du pays ? Nos grandes familles ont toutes oublié leur origine ; elles appartenaient au pays bien avant de se donner à la royauté.
Cette réflexion déplut à tout le monde.
C’était une idée trop avancée pour le moment.
Dix ans encore, et elle sera généralement adoptée.
M. de R… se mit alors à parler politique avec une incroyable chaleur ; affectant une gravité inaccoutumée, il se perdit dans les brouillards du machiavélisme le plus profond… Il fut tour à tour doctrinaire, radical, wigh, tory, que sais-je ? tout, parce qu’il n’était rien ; mais ce qu’il fut surtout, c’est ennuyeux !!! horriblement ennuyeux ; lui, conteur si spirituel, observateur si fin, flatteur si délicat… il se montrait amer, âcre, haineux, lourd et pédant.
La duchesse de Champigny parut mécontente des opinions politiques de M. de R…, qui n’en avait pas ; elle trouva M. de R… fort au-dessous de sa réputation. Elle ne savait pas les ravages que peut causer une prétention malheureuse dans la tête la mieux organisée. Quand le vent de la prétention a soufflé sur l’homme supérieur, il en fait un niais dont le premier sot venu a le droit de rire ; c’est le simoun de ce désert qu’on nomme le monde ; il dessèche les plus belles natures, il disperse les plus nobles pensées, il chasse au loin