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Les unes se tirent, par une conséquence nécessaire, des principes communs et des vérités avouées. Celles-là peuvent être infailliblement persuadées ; car, en montrant le rapport qu’elles ont avec les principes accordés, il y a une nécessité inévitable de convaincre, et il est impossible qu’elles ne soient pas reçues dans l’âme dès qu’on a pu les enrôler à ces vérités qu’elle a déjà admises.

Il y en a qui ont une union étroite avec les objets de notre satisfaction ; et celles-là sont encore reçues avec certitude, car aussitôt qu’on fait apercevoir à l’âme qu’une chose peut la conduire à ce qu’elle aime souverainement, il est inévitable qu’elle ne s’y porte avec joie.

Mais celles qui ont cette liaison tout ensemble, et avec les vérités avouées, et avec les désirs du cœur, sont si sûres de leur effet, qu’il n’y a rien qui le soit davantage dans la nature. Comme au contraire ce qui n’a de rapport ni à nos créances ni à nos plaisirs, nous est importun, faux et absolument étranger.

En toutes ces rencontres il n’y a point à douter. Mais il y en a où les choses qu’on veut faire croire sont bien établies sur des vérités connues, mais qui sont en même temps contraires aux plaisirs qui nous touchent le plus. Et celles-là sont en grand péril de faire voir, par une expérience qui n’est que trop ordinaire, ce que je disais au commencement : que cette âme impérieuse, qui se vantait de n’agir que par raison, suit par un choix honteux et téméraire ce qu’une volonté corrompue désire, quelque résistance que l’esprit trop éclairé puisse y opposer.

C’est alors qu’il se fait un balancement douteux entre la vérité et la volupté, et que la connaissance de l’une et le sentiment de l’autre font un combat dont le succès est bien incertain, puisqu’il faudrait, pour en juger, connaître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l’homme, que l’homme même ne connaît presque jamais.

Il paraît de là que, quoi que ce soit qu’on veuille persuader, il faut avoir égard à la personne à qui on en veut, dont il faut connaître l’esprit et le cœur, quels principes il accorde, quelles choses il aime ; et ensuite remarquer, dans la chose dont il s’agit, quels rapports elle a avec les principes avoués, ou avec les objets délicieux par les charmes qu’on lui donne. De sorte que l’art de persuader consiste autant en celui d’agréer qu’en celui de convaincre, tant les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison !

Or, de ces deux méthodes, l’une de convaincre, l’autre d’agréer, je ne donnerai ici que les règles de la première ; et encore au cas qu’on ait accordé les principes et qu’on demeure ferme à les avouer : autrement je ne sais s’il y aurait un art pour accommoder les preuves à l’inconstance de nos caprices.

Mais la manière d’agréer est bien sans comparaison plus difficile, plus subtile, plus utile et plus admirable ; aussi, si je n’en traite pas, c’est parce que je n’en suis pas capable ; et je m’y sens tellement disproportionné, que je crois la chose absolument impossible.

Ce n’est pas que je ne croie qu’il y ait des règles aussi sûres pour plaire que pour démontrer, et que qui les saurait parfaitement connaître et pratiquer ne réussît aussi sûrement à se faire aimer des rois et de toutes sortes de personnes, qu’à démontrer les éléments de la géométrie à