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ricorde, mais sans mystère ; et en ce qu’il a voulu sauver les uns, et non pas les autres, il a exercé sa miséricorde et sa justice ; et en cela il n’y a point encore de mystère. Mais en ce que tous étant également coupables, il a voulu sauver ceux-ci et non pas ceux-là, c’est en cela proprement qu’est la grandeur du mystère ; et partant, si le mystère est grand en ceque de deux hommeségalement coupables, il sauve celui-ci, et non pas celui-là. sans aucune vue de leurs œuvres : certainement saint Augustin a raison de dire que le mystère est encore plus étonnant pourquoi, de deux justes, il donne la persévérance à l’un et non pas à l’autre. Voilà les sujets de crainte et d’espérance qui doivent animer continuellement les saints ; et c’est pourquoi, suivant saint Augustin, Jésus-Christ voulut, dans sa Passion, donner un insigne exemple de l’un et de l’autre, dans l’abandonnement de saint Pierre et dans la conversion du larron, par un prodigieux effet de grâce. C’est en cette sorte que tous les hommes doivent toujours s’humilier sous la main de Dieu en qualité de pauvres, et dire comme David : « Seigneur, je suis pauvre et mendiant. » Certainement il ne parloit pas des biens de la fortune, car il étoit roi ; il ne parloit pas aussi des biens de la grâce, car il étoit prophète et juste. En quoi consistoit donc la pauvreté de cet homme si abondant, sinon en ce qu’il pouvoit perdre à toute heure son abondance. et qu’il n’étoit pas le maître de la conserver ? Car s’il eût eu le pouvoir prochain de demeurer dans cette justice, qu’est-ce qui lui eût manqué pour se dire riche, et non pas pauvre ? Certainement il n’y a personne qui puisse être appelé pauvre, s’il a le pouvoir prochain de demander, et l’assurance d’obtenir, s’il demande. Et c’est pourquoi tout pauvre manque infailliblement, ou du pouvoir de demander, ou du pouvoir d’obtenir. Or les pauvres de la grâce ne manquent jamais du pouvoir d’obtenir, s’ils demandent ; reste donc nécessairement qu’ils manquent quelquefois de ce pouvoir spécial de demander. Aussi il y a cette différence entre les pauvres dans l’ordre de la nature, et les pauvres dans l’ordre de la grâce, que les pauvres du monde ont toujours le pouvoir prochain de demander, et ne sont jamais assurés de celui d’obtenir : au lieu que les pauvres de la grâce sont toujours assurés d’obtenir ce qu’ils demandent, mais ils ne sont jamais assurés d’avoir le pouvoir prochain de demander.

Voilà tout ce que je puis vous dire maintenant dans le peu de loisir et de suffisance que j’ai. Je prie le Seigneur de vous rendre ceci utile pour la connoissance de la vérité.




DISSERTATION
Sur le véritable sens de ces paroles des saints Pères et du concile de Trente : « Les commandemens ne sont pas impossibles aux justes. »


Après avoir si clairement montré que le véritable sens du concile de Trente touchant la possibilité des préceptes, est qu’ils sont possibles avec la grâce ; et que le secours de la grâce qui les rend possibles, de ce