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ancien de nos plaintes, et les satisfactions que nous en avons faites ont adouci l’aigreur que mon père en avoit conçue. Nous avons dit ce que tu avois déjà dit, sans savoir que tu l’eusses dit, et ensuite nous avons excusé de bouche ce que tu avois depuis excusé par écrit, sans savoir que tu l’eusses excusé ; et nous n’avons su ce que tu as fait qu’après que nous l’avons eu fait nous-mêmes ; car comme nous n’avions rien caché à mon père, il nous a aussi tout découvert et guéri ensuite tous nos soupçons. Tu sais combien ces embarras troublent la paix de la maison extérieure et intérieure, et combien dans ces rencontres on a besoin des avertissemens que tu nous as donnés trop tard.

Nous avons à t’en donner nous-mêmes sur le sujet des tiens. Le premier est sur ce que tu mandes que nous t’avons appris ce que tu nous écris. 1° Je ne me souviens point de t’en avoir parlé, et si peu que cela n’a été très-nouveau, et de plus, quand cela seroit vrai, je craindrois que tu ne l’eusses retenu humainement, si tu n’avois oublié la personne dont tu l’avois appris pour ne te ressouvenir que de Dieu qui peut seul e l’avoir véritablement enseigné. Si tu t’en souviens comme d’une bonne chose, tu ne saurois penser le tenir d’aucun autre, puisque ni toi ni les autres ne le peuvent apprendre que de Dieu seul. Car, encore que dans cette sorte de reconnoissance on ne s’arrête pas aux hommes à qui on s’adresse comme s’ils étoient auteurs du bien qu’on a reçu par leur entremise, néanmoins cela ne laisse point de former une petite opposition à la vue de Dieu, et principalement dans les personnes qui ne sont pas entièrement épurées des impressions charnelles qui font considérer comme source de bien les objets qui le communiquent.

Ce n’est pas que nous ne devions reconnoitre et nous ressouvenir des personnes dont nous tenons quelques instructions, quand ces personnes ont le droit de les faire, comme les pères, les évêques et les directeurs, parce qu’ils sont les maîtres dont les autres sont les disciples. Mais quant à nous, il n’en est pas de même ; car comme l’ange refusa les iorations d’un saint serviteur comme lui, nous te dirons, en te priant à n’user plus de ces termes d’une reconnoissance humaine, que tu te gardes de nous faire de pareils complimens, parce que nous sommes disciples comme toi.

Le second est sur ce que tu dis qu’il n’est pas nécessaire de nous répéter ces choses, puisque nous les savons déjà bien ; ce qui nous fait craindre que tu ne mettes pas ici assez de différence entre les choses dont tu parles et celles dont le siècle parle, puisqu’il est sans doute qu’il suffit d’avoir appris une fois celles-ci et de les avoir bien retenues, pour n’avoir plus besoin d’en être instruit, au lieu qu’il ne suffit pas d’avoir une fois compris celles de l’autre sorte, et de les avoir connues de bonne manière, c’est-à —dire par le mouvement intérieur de Dieu, sur en conserver la connoissance de la même sorte, quoique l’on en conserve bien le souvenir. Ce n’est pas qu’on ne s’en puisse souvenir, qu’on ne retienne aussi facilement une épître de saint Paul qu’un livre de Virgile, mais les connoissances que nous acquérons de cette façon aussi bien que leur continuation, ne sont qu’un effet de mémoire, au lieu que pour y entendre ce langage secret et étranger à ceux qui le sont du ciel,