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LETTRE V.

nous soyons opposés à l’Écriture, aux papes ou aux conciles ! Il faut que je vous éclaircisse du contraire. Je serois bien marri que vous crussiez que nous manquons à ce que nous leur devons. Vous avez sans doute pris cette pensée de quelques opinions de nos pères qui paroissent choquer leurs décisions, quoique cela ne soit pas. Mais, pour en entendre l’accord, il faudroit avoir plus de loisir. Je souhaite que vous ne demeuriez pas mal édifié de nous. Si vous voulez que nous nous revoyions demain, je vous en donnerai l’éclaircissement. »

Voilà la fin de cette conférence, qui sera celle de cet entretien ; aussi en voilà bien assez pour une lettre. Je m’assure que vous en serez satisfait en attendant la suite. Je suis, etc.


SIXIÈME LETTRE[1].
Différens artifices des jésuites pour éluder l’autorité de l’Évangile, des conciles et des papes. Quelques conséquences qui suivent de leur doctrine sur la probabilité. Leurs relâchemens en faveur des bénéficiers, des prêtres, des religieux et des domestiques. Histoire de Jean d’Alba.
De Paris, ce 10 avril 1656.
Monsieur,

Je vous ai dit, à la fin de ma dernière lettre, que ce bon père jésuite m’avoit promis de m’apprendre de quelle sorte les casuistes accordent les contrariétés qui se rencontrent entre leurs opinions et les décisions des papes, des conciles et de l’Écriture. Il m’en a instruit, en effet, dans ma seconde visite, dont voici le récit.

Ce bon père me parla de cette sorte : « Une des manières dont nous accordons ces contradictions apparentes, est par l’interprétation de quelque terme. Par exemple, le pape Grégoire XIV a déclaré que les assassins sont indignes de jouir de l’asile des églises, et qu’on les en doit arracher. Cependant nos vingt-quatre vieillards disent (tr. VI, ex. IV, n. 27) que « tous ceux qui tuent en trahison ne doivent pas encourir la peine de cette bulle. » Cela vous paroît être contraire, mais on l’accorde en interprétant le mot d’assassin, comme ils font par ces paroles : « Les assassins ne sont-ils pas indignes de jouir du privilége des églises ? Oui, par la bulle de Grégoire XIV. Mais nous entendons par le mot d’assassins, ceux qui ont reçu de l’argent pour tuer quelqu’un en trahison. D’où il arrive que ceux qui tuent sans en recevoir aucun prix, mais seulement pour obliger leurs amis, ne sont pas appelés assassins. » De même, il est dit dans l’Évangile : « Donnez l’aumône de votre superflu. » Cependant plusieurs casuistes ont trouvé moyen de décharger les personnes les plus riches de l’obligation de donner l’aumône. Cela vous paroît encore contraire ; mais on en fait voir facilement l’accord, en interprétant le mot de superflu ; en sorte qu’il n’arrive presque jamais que personne en ait ; et c’est ce qu’a fait le docte Vasquez en cette sorte, dans son Traité de l’aumône (chap. IV, n. 14) : « Ce que

  1. Cette lettre a été revue par Nicole.