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LETTRE V.

d’un côté, vous vous jetez de l’autre, et toujours en sûreté. — Cela est vrai, dit-il ; et ainsi nous pouvons toujours dire avec Diana, qui trouva le P. Bauny pour lui, lorsque le P. Lugo lui étoit contraire :

Sæpe, premente deo, fert deus alter opem.
« Si quelque dieu nous presse, un autre nous délivre. »

— J’entends bien, lui dis-je ; mais il me vient une difficulté dans l’esprit : c’est qu’après avoir consulté un de vos docteurs, et pris de lui une opinion un peu large, on sera peut-être attrapé si on rencontre un confesseur qui n’en soit pas, et qui refuse l’absolution, si on ne change de sentiment. N’y avez-vous point donné ordre, mon père ? — En doutez-vous ? me répondit-il. On les a obligés à absoudre leurs pénitens qui ont des opinions probables, sur peine de péché mortel, afin qu’ils n’y manquent pas. C’est ce qu’ont bien montré nos pères, et entre autres le P. Bauny (tr. IV, de Pœnit., quaest. XIII, p. 93). « Quand le pénitent, dit-il, suit une opinion probable, le confesseur le doit absoudre, quoique son opinion soit contraire à celle du pénitent. » — Mais il ne dit pas que ce soit un péché mortel de ne le pas absoudre. — Que vous êtes prompt ! me dit-il ; écoutez la suite ; il en fait une conclusion expresse : « Refuser l’absolution à un pénitent qui agit selon une opinion probable, est un péché qui, de sa nature, est mortel. » Et il cite, pour confirmer ce sentiment, trois des plus fameux de nos pères, (Suarez, t. iv, dist. XXXII, sect. V ; Vasquez, disp. LXII, chap. VII ; et Sanchez, n. 29).

— Ô mon père ! lui dis-je, voilà qui est bien prudemment ordonné ! Il n’y a plus rien à craindre. Un confesseur n’oseroit plus y manquer. Je ne savois pas que vous eussiez le pouvoir d’ordonner sur peine de damnation. Je croyois que vous ne saviez qu’ôter les péchés ; je ne pensois pas que vous en sussiez introduire ; mais vous avez tout pouvoir, à ce que je vois. — Vous ne parlez pas proprement, me dit-il. Nous n’introduisons pas les péchés, nous ne faisons que les remarquer. J’ai déjà bien reconnu deux ou trois fois que vous n’êtes pas bon scolastique. — Quoi qu’il en soit, mon père, voilà mon doute bien résolu. Mais j’en ai un autre encore à vous proposer : c’est que je ne sais comment vous pouvez faire, quand les Pères de l’Église sont contraires au sentiment de quelqu’un de vos casuistes.

— Vous l’entendez bien peu, me dit-il. Les Pères étoient bons pour la morale de leur temps ; mais ils sont trop éloignés pour celle du nôtre. Ce ne sont plus eux qui la règlent, ce sont les nouveaux casuistes. Écoutez notre P. Cellot (de Hier., lib. VIII, cap. XVI, p. 714), qui suit en cela notre fameux P. Reginaldus : « Dans les questions de morale, les nouveaux casuistes sont préférables aux anciens Pères, quoiqu’ils fussent plus proches des apôtres. » Et c’est en suivant cette maxime que Diana parle de cette sorte (part. V, tr. VIII, r. 31) : « Les bénéficiers sont-ils obligés de restituer leur revenu dont ils disposent mal ? Les anciens disoient que oui, mais les nouveaux disent que non : ne quittons donc pas cette opinion qui décharge de l’obligation de restituer. »

— Voilà de belles paroles, lui dis-je, et pleines de consolation pour bien