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LETTRE IV.

son assistance pour le pouvoir éviter : et il n’y a que les jansénistes qui disent le contraire.

— Eh quoi ! mon père, lui repartis-je, est-ce là l’hérésie des jansénistes, de nier qu’à chaque fois qu’on fait un péché, il vient un remords troubler la conscience, malgré lequel on ne laisse pas de franchir le saut et de passer outre, comme dit le P. Bauny ? C’est une assez plaisante chose d’être hérétique pour cela. Je croyois bien qu’on fût damné pour n’avoir pas de bonnes pensées ; mais qu’on le soit pour ne pas croire que tout le monde en a, vraiment je ne le pensois pas. Mais, mon père, je me tiens obligé en conscience de vous désabuser, et de vous dire qu’il y a mille gens qui n’ont point ces désirs, qui pèchent sans regret, qui pèchent avec joie, qui en font vanité. Et qui peut en savoir plus de nouvelles que vous ? Il n’est pas que vous ne confessiez quelqu’un de ceux dont je parle ; car c’est parmi les personnes de grande qualité qu’il s’en rencontre d’ordinaire. Mais prenez garde, mon père, aux dangereuses suites de votre maxime. Ne remarquez-vous pas quel effet elle peut faire dans ces libertins qui ne cherchent qu’à douter de la religion ? Quel prétexte leur en offrez-vous, quand vous leur dites, comme une vérité de foi, qu’ils sentent, à chaque péché qu’ils commettent, un avertissement et un désir intérieur de s’en abstenir ! Car n’est-il pas visible qu’étant convaincus, par leur propre expérience, de la fausseté de votre doctrine en ce point, que vous dites être de foi, ils en étendront la conséquence à tous les autres ? Ils diront que, si vous n’êtes pas véritables en un article, vous êtes suspects en tous : et ainsi vous les obligerez à conclure, ou que la religion est fausse, ou du moins que vous en êtes mal instruits. »

Mais mon second, soutenant mon discours, lui dit : « Vous feriez bien, mon père, pour conserver votre doctrine, de n’expliquer pas aussi nettement que vous nous avez fait ce que vous entendez par grâce actuelle. Car comment pourriez-vous déclarer ouvertement, sans perdre toute créance dans les esprits, « que personne ne pèche qu’il n’ait auparavant la connoissance de son infirmité, celle du médecin, le désir de la guérison, et celui de la demander à Dieu ? » Croira-t-on, sur votre parole, que ceux qui sont plongés dans l’avarice, dans l’impudicité, dans les blasphèmes, dans le duel, dans la vengeance, dans les vols, dans les sacriléges, aient véritablement le désir d’embrasser la chasteté, l’humilité, et les autres vertus chrétiennes ?

« Pensera-t-on que ces philosophes, qui vantoient si hautement la puissance de la nature, en connussent l’infirmité et le médecin ? Direz-vous que ceux qui soutenoient, comme une maxime assurée, « que ce n’est pas Dieu qui donne la vertu, et qu’il ne s’est jamais trouvé personne qui la lui ait demandée, » pensassent à la lui demander eux-mêmes ?

« Qui pourra croire que les épicuriens, qui nioient la providence divine, eussent des mouvemens de prier Dieu, eux qui disoient, que c’étoit lui faire injure de l’implorer dans nos besoins, comme s’il eût été capable de s’amuser à penser à nous ? »

« Et enfin, comment s’imaginer que les idolâtres et les athées aient