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LETTRE III.

à gagner en défendant M. Arnauld, que celui d’une centaine d’autres, qui n’avoient rien à perdre en le condamnant.

« Mais, après tout, ils ont pensé que c’étoit toujours beaucoup d’avoir une censure, quoiqu’elle ne soit que d’une partie de la Sorbonne, et non pas de tout le corps ; quoiqu’elle soit faite avec peu ou point de liberté, et obtenue par beaucoup de menus moyens qui ne sont pas des plus réguliers ; quoiqu’elle n’explique rien de ce qui pouvoit être en dispute ; quoiqu’elle ne marque point en quoi consiste cette hérésie, et qu’on y parle peu, de crainte de se méprendre. Ce silence même est un mystère pour les simples ; et la censure en tirera cet avantage singulier, que les plus critiques et les plus subtils théologiens n’y pourront trouver aucune mauvaise raison.

« Mettez-vous donc l’esprit en repos, et ne craignez point d’être hérétique en vous servant de la proposition condamnée. Elle n’est mauvaise que dans la seconde lettre de M. Arnauld. Ne vous en voulez-vous pas fier à ma parole ? croyez-en M. Le Moine, le plus ardent des examinateurs, qui, en parlant encore ce matin à un docteur de mes amis, qui lui demandoit en quoi consiste cette différence dont il s’agit, et s’il ne seroit plus permis de dire ce qu’ont dit les Pères : « Cette proposition, lui a-t-il excellemment répondu, seroit catholique dans une autre bouche : ce n’est que dans M. Arnauld que la Sorbonne l’a condamnée. » Et ainsi admirez les machines du molinisme, qui font dans l’Église de si prodigieux renversemens, que ce qui est catholique dans les Pères devient hérétique dans M. Arnauld ; que ce qui étoit hérétique dans les semi-pélagiens devient orthodoxe dans les écrits des jésuites ; que la doctrine si ancienne de saint Augustin est une nouveauté insupportable ; et que les inventions nouvelles qu’on fabrique tous les jours à notre vue passent pour l’ancienne foi de l’Église. » Sur cela il me quitta.

Cette instruction m’a servi. J’y ai compris que c’est ici une hérésie d’une nouvelle espèce. Ce ne sont pas les sentimens de M. Arnauld qui sont hérétiques ; ce n’est que sa personne. C’est une hérésie personnelle. Il n’est pas hérétique pour ce qu’il a dit ou écrit, mais seulement pour ce qu’il est M. Arnauld. C’est tout ce qu’on trouve à redire en lui. Quoi qu’il fasse, s’il ne cesse d’être, il ne sera jamais bon catholique. La grâce de saint Augustin ne sera jamais la véritable tant qu’il la défendra. Elle le deviendroit, s’il venoit à la combattre. Ce seroit un coup sûr, et presque le seul moyen de l’établir, et de détruire le molinisme ; tant il porte de malheur aux opinions qu’il embrasse. Laissons donc là leurs différends. Ce sont des disputes de théologiens, et non pas de théologie. Nous, qui ne sommes point docteurs, n’avons que faire à leurs démêlés. Apprenez des nouvelles de la censure à tous nos amis, et aimez-moi autant que je suis, monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
E. A. A. B. P. A. F. D. E. P.