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LETTRE III.

nous en paroît autre chose qu’une parfaite conformité. Quand nous en reconnoîtrons le mal, nous l’aurons en détestation : mais tant que nous ne le verrons point, et que nous n’y trouverons que les sentimens des saints Pères, conçus et exprimés en leurs propres termes, comment pourrions-nous l’avoir sinon en une sainte vénération ? »

Voilà de quelle sorte ils s’emportent ; mais ce sont des gens trop pénétrans. Pour nous, qui n’approfondissons pas tant les choses, tenons-nous en repos sur le tout. Voulons-nous être plus savans que nos maîtres ? n’entreprenons pas plus qu’eux. Nous nous égarerions dans cette recherche. Il ne faudroit rien pour rendre cette censure hérétique. La vérité est si délicate, que, pour peu qu’on s’en retire, on tombe dans l’erreur : mais cette erreur est si déliée, que, pour peu qu’on s’en éloigne, on se trouve dans la vérité. Il n’y a qu’un point imperceptible entre cette proposition et la foi. La distance en est si insensible, que j’ai eu peur, en ne la voyant pas, de me rendre contraire aux docteurs de l’Église, pour me rendre trop conforme aux docteurs de Sorbonne ; et, dans cette crainte, j’ai jugé nécessaire de consulter un de ceux qui, par politique, furent neutres dans la première question, pour apprendre de lui la chose véritablement. J’en ai donc vu un fort habile, que je priai de me vouloir marquer les circonstances de cette différence, parce que je lui confessai franchement que je n’y en voyois aucune.

À quoi il me répondit en riant, comme s’il eût pris plaisir à ma naïveté : « Que vous êtes simple, de croire qu’il y en ait ! Et où pourroit-elle être ? Vous imaginez-vous que, si l’on en eût trouvé quelqu’une, on ne l’eût pas marquée hautement, et qu’on n’eût pas été ravi de l’exposer à la vue de tous les peuples dans l’esprit desquels on veut décrier M. Arnauld ? » Je reconnus bien, à ce peu de mots, que tous ceux qui avoient été neutres dans la première question ne l’eussent pas été dans la seconde. Je ne laissai pas néanmoins de vouloir ouïr ses raisons, et de lui dire : « Pourquoi donc ont-ils attaqué cette proposition ? » À quoi il me repartit : « Ignorez-vous ces deux choses, que les moins instruits de ces affaires connoissent : l’une, que M. Arnauld a toujours évité de dire rien qui ne fût puissamment fondé sur la tradition de l’Église ; l’autre, que ses ennemis ont néanmoins résolu de l’en retrancher à quelque prix que ce soit, et qu’ainsi les écrits de l’un ne donnant aucune prise aux desseins des autres, ils ont été contraints, pour satisfaire leur passion, de prendre une proposition telle quelle, et de la condamner sans dire en quoi ni pourquoi ? Car ne savez-vous pas comment les jansénistes les tiennent en échec et les pressent si furieusement, que la moindre parole qui leur échappe contre les principes des Pères, on les voit incontinent accablés par des volumes entiers, où ils sont forcés de succomber ? De sorte qu’après tant d’épreuves de leur foiblesse, ils ont jugé plus à propos et plus facile de censurer que de repartir, parce qu’il leur est bien plus aisé de trouver des moines que des raisons.

— Mais quoi ! lui dis-je, la chose étant ainsi, leur censure est inutile, car quelle créance y aura-t-on en la voyant sans fondement, et ruinée par les réponses qu’on y fera ? — Si vous connoissiez l’esprit du