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LETTRE I

mine invinciblement leur volonté. 4. Que cette grâce efficace n’est pas toujours donnée à tous les justes, et qu’elle dépend de la pure miséricorde de Dieu. De sorte qu’il n’y a plus que le mot de prochain sans aucun sens qui court risque.

Heureux les peuples qui l’ignorent ! heureux ceux qui ont précédé sa naissance ! car je n’y vois plus de remède, si Messieurs de l’Académie, par un coup d’autorité, ne bannissent de la Sorbonne ce mot barbare qui cause tant de divisions. Sans cela, la censure paroît assurée : mais je vois qu’elle ne fera point d’autre mal que de rendre la Sorbonne moins considérable[1] par ce procédé, qui lui ôtera l’autorité qui lui est si nécessaire en d’autres rencontres.

Je vous laisse cependant dans la liberté de tenir pour le mot prochain, ou non ; car je vous aime trop pour vous persécuter sous ce prétexte. Si ce récit ne vous déplaît pas, je continuerai de vous avertir de tout ce qui se passera.

Je suis, etc.


SECONDE LETTRE.
De la grâce suffisante.
De Paris, ce 29 janvier 1656.
Monsieur,

Comme je fermois la lettre que je vous ai écrite, je fus visité par M. N., notre ancien ami, le plus heureusement du monde pour ma curiosité ; car il est très-informé des questions du temps, et il sait parfaitement le secret des jésuites, chez qui il est à toute heure, et avec les principaux. Après avoir parlé de ce qui l’amenoit chez moi, je le priai de me dire, en un mot, quels sont les points débattus entre les deux partis.

Il me satisfit sur l’heure, et me dit qu’il y en avoit deux principaux : le premier, touchant le pouvoir prochain ; le second, touchant la grâce suffisante. Je vous ai éclairci du premier par la précédente : je vous parlerai du second dans celle-ci.

Je sus donc, en un mot, que leur différend, touchant la grâce suffisante, est en ce que les jésuites prétendent qu’il y a une grâce donnée généralement à tous les hommes, soumise de telle sorte au libre arbitre, qu’il la rend efficace ou inefficace à son choix, sans aucun nouveau secours de Dieu, et sans qu’il manque rien de sa part pour agir effectivement : ce qui fait qu’ils l’appellent suffisante, parce qu’elle seule suffit pour agir : et que les jansénistes, au contraire, veulent qu’il n’y ait aucune grâce actuellement suffisante, qui ne soit aussi efficace, c’est-à-dire que toutes celles qui ne déterminent point la volonté à agir effectivement, sont insuffisantes pour agir, parce qu’ils disent qu’on n’agit jamais sans grâce efficace. Voilà leur différend.

Et m’informant après de la doctrine des nouveaux thomistes : « Elle est bizarre, me dit-il ; ils sont d’accord avec les jésuites d’admettre une

  1. Édit. de 1657 : méprisable.