Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
LETTRES PROVINCIALES.

voulût les montrer ; que c’étoit une chose si facile, qu’elle ne pouvoit être refusée, puisque c’étoit un moyen sûr de les réduire tous, et M. Arnauld même : mais on le leur a toujours refusé. Voilà ce qui s’est passé de ce côté-là.

De l’autre part se sont trouvés quatre-vingts docteurs séculiers, et quelque quarante religieux mendians, qui ont condamné la proposition de M. Arnauld, sans vouloir examiner si ce qu’il avoit dit étoit vrai ou faux : et ayant même déclaré qu’il ne s’agissoit pas de la vérité, mais seulement de la témérité de sa proposition.

Il s’en est de plus trouvé quinze qui n’ont point été pour la censure, et qu’on appelle indifférens.

Voilà comment s’est terminée la question de fait, dont je ne me mets guère en peine : car que M. Arnauld soit téméraire, ou non, ma conscience n’y est pas intéressée. Et si la curiosité me prenoit de savoir si ces propositions sont dans Jansénius, son livre n’est pas si rare, ni si gros, que je ne le puisse lire tout entier pour m’en éclaircir, sans en consulter la Sorbonne.

Mais, si je ne craignois aussi d’être téméraire, je crois que je suivrois l’avis de la plupart des gens que je vois, qui, ayant cru jusqu’ici, sur la foi publique, que ces propositions sont dans Jansénius, commencent à se défier du contraire, par le refus bizarre qu’on fait de les montrer, qui est tel, que je n’ai encore vu personne qui m’ait dit les y avoir vues. De sorte que je crains que cette censure ne fasse plus de mal que de bien, et qu’elle ne donne à ceux qui en sauront l’histoire une impression toute opposée à la conclusion ; car, en vérité, le monde devient méfiant, et ne croit les choses que quand il les voit. Mais, comme j’ai déjà dit, ce point-là est peu important, puisqu’il ne s’y agit point de la foi.

Pour la question de droit, elle semble bien plus considérable, en ce qu’elle touche la foi. Aussi j’ai pris un soin particulier de m’en informer. Mais vous serez bien satisfait de voir que c’est une chose aussi peu importante que la première.

Il s’agit d’examiner ce que M. Arnauld a dit dans la même lettre : « Que la grâce, sans laquelle on ne peut rien, a manqué à saint Pierre dans sa chute. » Sur quoi nous pensions, vous et moi, qu’il étoit question d’examiner les plus grands principes de la grâce, comme, si elle n’est pas donnée à tous les hommes, ou bien si elle est efficace ; mais nous étions bien trompés. Je suis devenu grand théologien en peu de temps, et vous en allez voir des marques.

Pour savoir la chose au vrai, je vis M. N., docteur de Navarre, qui demeure près de chez moi, qui est, comme vous le savez, des plus zélés contre les jansénistes : et comme ma curiosité me rendait presque aussi ardent que lui, je lui demandai s’ils ne décideroient pas formellement « que la grâce est donnée à tous, » afin qu’on n’agitât plus ce doute.

Mais il me rebuta rudement, et me dit que ce n’étoit pas là le point ; qu’il y en avoit de ceux de son côté qui tenoient que la grâce n’est pas donnée à tous ; que les examinateurs mêmes avoient dit en pleine Sorbonne que cette opinion est problématique ; et qu’il étoit lui-même