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VIE DE BLAISE PASCAL.

service. Les médecins qui le traitoient voyoient que ses douleurs étoient considérables ; mais, parce qu’il avoit le pouls fort bon, sans aucune altération ni apparence de fièvre, ils assuroient qu’il n’y avoit aucun péril, se servant même de ces mots : « Il n’y a pas la moindre ombre de danger. » Nonobstant ce discours, voyant que la continuation de ses douleurs et de ses grandes veilles l’affoiblissoit, dès le quatrième jour de sa colique et avant même que d’être alité, il envoya querir M. le curé, et se confessa. Cela fit bruit parmi ses amis, et en obligea quelques-uns de le venir voir, tout épouvantés d’appréhension. Les médecins même en furent si surpris qu’ils ne purent s’empêcher de le témoigner, disant que c’étoit une marque d’appréhension à quoi ils ne s’attendoient pas de sa part. Mon frère, voyant l’émotion que cela avoit causée, en fut fâché, et me dit : « J’eusse voulu communier ; mais, puisque je vois qu’on est surpris de ma confession, j’aurois peur qu’on ne le fût davantage ; c’est pourquoi il vaut mieux différer. » M. le curé ayant été de cet avis, il ne communia pas ; Cependant son mal continuoit ; comme M. le curé le venoit voir de temps en temps par visite, il ne perdoit pas une de ces occasions pour se confesser, et n’en disoit rien, de peur d’effrayer le monde, parce que les médecins assuroient toujours qu’il n’y avoit nul danger à sa maladie ; et en effet il y eut quelque diminution en ses douleurs, en sorte qu’il se levoit quelquefois dans sa chambre. Elles ne le quittèrent jamais néanmoins tout à fait, et même elles revenoient quelquefois, et il maigrissoit aussi beaucoup, ce qui n’effrayoit pas beaucoup les médecins : mais, quoi qu’ils pussent dire, il dit toujours qu’il étoit en danger, et ne manqua pas de se confesser toutes les fois que M. le curé le venoit voir. Il fit même son testament durant ce temps-là, où les pauvres ne furent pas oubliés, et il se fit violence pour ne pas donner davantage, car il me dit que si M. Périer eût été à Paris, et qu’il y eût consenti, il auroit disposé de tout son bien en faveur des pauvres ; et enfin il n’avoit rien dans l’esprit et dans le cœur que les pauvres, et il me disoit quelquefois : « D’où vient que je n’ai jamais rien fait pour les pauvres, quoique j’aie toujours eu un si grand amour pour eux ? » Je lui dis : « C’est que vous n’avez jamais eu assez de bien pour leur donner de grandes assistances. » Et il me répondit : « Puisque je n’avois pas de bien pour leur donner, je devois leur avoir donné mon temps et ma peine ; c’est à quoi j’ai failli ; et si les médecins disent vrai, et si Dieu permet que je me relève de cette maladie, je suis résolu de n’avoir point d’autre emploi ni point d’autre occupation tout le reste de ma vie que le service des pauvres. » Ce sont les sentimens dans lesquels Dieu l’a pris.

Il joignoit à cette ardente charité pendant sa maladie une patience si admirable, qu’il édifioit et surprenoit toutes les personnes qui étoient autour de lui, et il disoit à ceux qui témoignoient avoir de la peine de voir l’état où il étoit, que, pour lui, il n’en avoit pas, et qu’il appréhendoit même de guérir ; et quand on lui en demandoit la raison, il disoit : « C’est que je connois les dangers de la santé et les avantages de la maladie. » Il disoit encore au plus fort de ses douleurs, quand on s’affligeoit de les lui voir souffrir : « Ne me plaignez point ; la maladie est