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gion[1] !… Des pécheurs purifiés sans pénitence, des justes justifies sans charité, tous les chrétiens sans la grâce de Jésus-Christ, Dieu sans pouvoir sur la volonté des hommes, une prédestination sans mystère, une rédemption sans certitude !


85.

Église, pape. — Unité, multitude. En considérant l’Église comme unité, le pape quelconque est le chef, est comme tout. En la considérant comme multitude, le pape n’en est qu’une partie. Les Pères l’ont considérée, tantôt en une manière, tantôt en l’autre. Et ainsi ont parlé diversement du pape. Saint Cyprien : Sacerdos Dei. Mais en établissant une de ces deux vérités, ils n’ont pas exclu l’autre. La multitude qui ne se réduit pas à l’unité est confusion ; l’unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie. Il n’y a presque plus que la France où il soit permis de dire que le concile est au-dessus du pape.


86.

Dieu ne fait point de miracles dans la conduite ordinaire de son Église. C’en seroit un étrange, si l’infaillibilité étoit dans un ; mais d’être dans la multitude, cela paroît si naturel, que la conduite de Dieu est


87.

Sur ce que la religion chrétienne n’est pas unique. — Tant s’en faut que ce soit une raison qui fasse croire qu’elle n’est pas la véritable, qu’au contraire, c’est ce qui fait voir qu’elle l’est.


88.

L’éloquence est un art de dire les choses de telle façon, 1° que ceux à qui l’on parle puissent les entendre sans peine, et avec plaisir ; 2° qu’ils s’y sentent intéressés, en sorte que l’amour-propre les porte plus volontiers à y faire réflexion. Elle consiste donc dans une correspondance qu’on tâche d’établir entre l’esprit et le cœur de ceux à qui l’on parle d’un côté, et de l’autre les pensées et les expressions dont on se sert ; ce qui suppose qu’on aura bien étudié le cœur de l’homme pour en savoir tous les ressorts, et pour trouver ensuite les justes proportions du discours qu’on veut y assortir. Il faut se mettre à la place de ceux qui doivent nous entendre, et faire essai sur son propre cœur du tour qu’on donne à son discours, pour voir si l’un est fait pour l’autre, et l’on peut s’assurer que l’auditeur sera comme forcé de se rendre. Il faut se renfermer, le plus qu’il est possible, dans le simple naturel : ne pas faire grand ce qui est petit, ni petit ce qui est grand. Ce n’est pas assez qu’une chose soit belle, il faut qu’elle soit propre au sujet, qu’il n’y ait rien de trop ni rien de manque.

L’éloquence est une peinture de la pensée ; et ainsi, ceux qui, après avoir peint, ajoutent encore, font un tableau, au lieu d’un portrait.


89.

S’il ne falloit rien faire que pour le certain, on ne devroit rien faire pour la religion ; car elle n’est pas certaine. Mais combien de choses

  1. Les jésuites.