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la retiennent, et l’empêchent d’aimer Dieu de toutes ses forces. L’amour-propre et la concupiscence, qui l’arrêtent, lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir qu’elle a ce fond d’amour-propre qui la perd, et que lui seul la peut guérir.

La connoissance de Dieu sans celle de sa[1] misère fait l’orgueil. La connoissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connoissance de Jésus-Christ fait le milieu, parce que nous y trouvons et Dieu et notre misère.

Tous ceux qui cherchent Dieu hors de Jésus-Christ, et qui s’arrêtent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou ils arrivent à se former un moyen de connoître Dieu et de le servir sans médiateur : et par là ils tombent, ou dans l’athéisme, ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également.

Dieu par Jésus-Christ. — Nous ne connoissons Dieu que par Jésus-Christ. Sans ce médiateur, est ôtée toute communication avec Dieu ; par Jésus-Christ, nous connoissons Dieu. Tous ceux qui ont prétendu connoître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n’avoient que des preuves impuissantes. Mais pour prouver Jésus-Christ, nous avons les prophéties, qui sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties étant accomplies, et prouvées véritables par l’événement, marquent la certitude de ces vérités, et partant la preuve de la divinité de Jésus-Christ. En lui et par lui nous connoissons donc Dieu. Hors de là et sans l’Écriture, sans le péché originel, sans médiateur nécessaire promis et arrivé, on ne peut prouver absolument Dieu, ni enseigner une bonne doctrine ni une bonne morale. Mais par Jésus-Christ et en Jésus-Christ, on prouve Dieu, et on enseigne la morale et la doctrine. Jésus-Christ est donc le véritable Dieu des hommes.

Mais nous connoissons en même temps notre misère, car ce Dieu n’est autre chose que le réparateur de notre misère. Ainsi nous ne pouvons bien connoître Dieu qu’en connoissant nos iniquités.

Aussi ceux qui ont connu Dieu sans connoître leur misère ne l’ont pas glorifié, mais s’en sont glorifiés. Quia non cognovit per sapientiam, placuit Deo per stultitiam prædicationis salvos facere[2].

Non-seulement nous ne connoissons Dieu que par Jésus-Christ, mais nous ne nous connoissons nous-mêmes que par Jésus-Christ. Nous ne connoissons la vie, la mort que par Jésus-Christ. Hors de Jésus-Christ, nous ne savons ce que c’est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes.

Ainsi sans l’Écriture, qui n’a que Jésus-Christ pour objet, nous ne connoissons rien, et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature.

Sans Jésus-Christ, il faut que l’homme soit dans le vice et dans la misère ; avec Jésus-Christ, l’homme est exempt de vice et de misère. En lui est toute notre vertu et toute notre félicité. Hors de lui, il n’y a que vice, misère, erreurs, ténèbres, mort, désespoir.

  1. La misère de l’homme.
  2. I Cor., i, 24.