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qu’elle abaisse infiniment plus que la seule raison ne peut faire, mais sans désespérer ; et qu’elle élève infiniment plus que l’orgueil de la nature, mais sans enfler : faisant bien voir par là qu’étant seule exempte d’erreur et de vice, il n’appartient qu’à elle et d’instruire et de corriger les hommes.

Qui peut donc refuser à ces célestes lumières de les croire et de les adorer ? Car n’est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des caractères ineffaçables d’excellence ? Et n’est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition ? Que nous crie donc ce chaos et cette confusion monstrueuse, sinon la vérité de ces deux états, avec une voix si puissante, qu’il est impossible de résister ?


4.

Nous ne concevons ni l’état glorieux d’Adam, ni la nature de son péché, ni la transmission qui s’en est faite en nous. Ce sont choses qui se sont passées dans l’état d’une nature toute différente de la nôtre, et qui passent notre capacité présente. Tout cela nous est inutile à savoir pour en sortir ; et tout ce qu’il nous importe de connoître est que nous sommes misérables, corrompus, séparés de Dieu, mais rachetés par Jésus-Christ ; et c’est de quoi nous avons des preuves admirables sur la terre. Ainsi les deux preuves de la corruption et de la rédemption se tirent des impies, qui vivent dans l’indifférence de la religion, et des Juifs, qui en sont les ennemis irréconciliables.


5.

Le christianisme est étrange ! Il ordonne à l’homme de reconnoître qu’il est vil, et même abominable ; et lui ordonne de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel contre-poids, cette élévation le rendroit horriblement vain, ou cet abaissement le rendrait horriblement abject. La misère persuade le désespoir, l’orgueil persuade la présomption. L’incarnation montre à l’homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu’il a fallu.


6.

Non pas un abaissement qui nous rende incapable du bien, ni une sainteté exempte du mal.

Il n’y a point de doctrine plus propre à l’homme que celle-là, qui l’instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce, à cause du double péril où il est toujours exposé, de désespoir ou d’orgueil.


7.

Les philosophes ne prescrivoient point des sentimens proportionnés aux deux états. Ils inspiraient des mouvemens de grandeur pure, et ce n’est pas l’état de l’homme. Ils inspiraient des mouvemens de bassesse pure, et ce n’est pas l’état de l’homme. Il faut des mouvemens de bassesse, non de nature, mais de pénitence ; non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvemens de grandeur, non de mérite, mais de grâce, et après avoir passé par la bassesse.


8.

Nul n’est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable.