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répandue sur toute la terre : mais ces saints vivoient en la foi ; et Jacob, mourant et bénissant ses enfans, s’écrie, par un transport qui lui fait interrompre son discours : « J’attends, ô mon Dieu ! le Sauveur que vous avez promis : Salutare tuum exspectabo, domine[1]

Les Égyptiens étoient infectés et d’idolâtrie et de magie ; le peuple de Dieu même étoit entraîné par leurs exemples. Mais cependant Moïse et d’autres croyoient celui qu’ils ne voyoient pas, et l’adoroient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparoit.

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses déités ; les poëtes ont fait cent diverses théologies ; les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes : et cependant il y avoit toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisoient la venue de ce Messie, qui n’étoit connu que d’eux.

Il est venu enfin en la consommation des temps : et depuis, on a vu naître tant de schismes et d’hérésies, tant renverser d’États, tant de changemens en toutes choses ; et cette Église, qui adore celui qui a toujours été adoré, a subsisté sans interruption. Et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c’est que cette religion, qui a toujours duré, a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle ; et toutes les fois qu’elle a été en cet état, Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. C’est ce qui est étonnant, et qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans. Car il n’est pas étrange qu’un État subsiste, lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité, mais que...

Figures. — Dieu voulant se former un peuple saint, qu’il sépareroit de toutes les autres nations, qu’il délivreroit de ses ennemis, qu’il mettroit dans un lieu de repos, a promis de le faire, et a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venue. Et cependant, pour affermir l’espérance de ses élus dans tous les temps, il leur en a fait voir l’image sans les laisser jamais sans des assurances de sa puissance et de sa volonté pour leur salut. Car, dans la création de l’homme, Adam en étoit le témoin, et le dépositaire de la promesse du Sauveur, qui devoit naître de la femme. Lorsque les hommes étoient encore si proches de la création, qu’ils ne pouvoient avoir oublié leur création et leur chute, lorsque ceux qui avoient vu Adam n’ont plus été au monde, Dieu a envoyé Noé, et il l’a sauvé, et noyé toute la terre, par un miracle qui marquoit assez et le pouvoir qu’il avoit de sauver le monde, et la volonté qu’il avoit de le faire, et de faire naître de la semence de la femme celui qu’il avoit promis. Ce miracle suffisoit pour affermir l’espérance des hommes....

La mémoire du déluge étant encore si fraîche parmi les hommes, lorsque Noé vivoit encore, Dieu fit ses promesses à Abraham, et lorsque Sem vivoit encore, Dieu envoya Moïse, etc.


6.

Les États périroient, si on ne faisoit plier souvent les lois à la nécessité. Mais jamais la religion n’a souffert cela, et n’en a usé. Aussi il faut

  1. Genèse, XLIX, 18.