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et n’est pas parfaite sans les deux, car il faut que le peuple entende l’esprit de la lettre, et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre.


4.

Nulle autre religion n’a proposé de se haïr. Nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïssent, et qui cherchent un être véritablement aimable. Et ceux-là, s’ils n’avoient jamais ouï parler de la religion d’un Dieu humilié, l’embrasseroient incontinent.

Nulle autre n’a connu que l’homme est la plus excellente créature. Les uns, qui ont bien connu la réalité de son excellence, ont pris pour lâcheté et pour ingratitude les sentimens bas que les hommes ont naturellement d’eux-mêmes ; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective, ont traité d’une superbe ridicule ces sentimens de grandeur, qui sont aussi naturels à l’homme.

« Levez vos yeux vers Dieu, disent les uns ; voyez celui auquel vous ressemblez, et qui vous a fait pour l’adorer. Vous pouvez vous rendre semblable à lui ; la sagesse vous y égalera, si vous voulez la suivre.» Et les autres disent : « Baissez vos yeux vers la terre, chétif ver que vous êtes, et regardez les bêtes dont vous êtes le compagnon. »

Que deviendra donc l’homme ? Sera-t -il égal à Dieu ou aux bêtes ? Quelle effroyable distance ! Que serons-nous donc ? Qui ne voit partout cela que l’homme est égaré, qu’il est tombé de sa place, qu’il la cherche avec inquiétude, qu’il ne la peut plus retrouver ? Et qui l’y adressera donc ? les plus grands hommes ne l’ont pu.

Nulle religion que la nôtre n’a enseigné que l’homme naît en péché, nulle secte de philosophes ne l’a dit : nulle n’a donc dit vrai.


5.

Que Dieu s’est voulu cacher. — S’il n’y avoit qu’une religion, Dieu y seroit bien manifeste. S’il n’y avoit des martyrs qu’en notre religion, de même.

... Dieu étant ainsi caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n’est pas véritable ; et toute religion qui n’en rend pas la raison n’est pas instruisante. La nôtre fait tout cela : Vere tu es Deus absconditus.

Perpétuité. — Cette religion, qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie nous serons rétablis par un Messie qui devoit venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé, et celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes les choses.

Les hommes dans le premier âge du monde ont été emportés dans toutes sortes de désordres, et il y avoit cependant des saints, comme Enoch, Lamech et d’autres, qui attendoient en patience le Christ promis dès le commencement du monde. Noé a vu la malice des hommes au plus haut degré ; et il a mérité de sauver le monde en sa personne, par l’espérance du Messie dont il a été la figure. Abraham étoit environné d’idolâtres, quand Dieu lui fit connoître le mystère du Messie, qu’il a salué de loin. Au temps d’Isaac et de Jacob, l’abomination s’étoit