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Seconde partie. Que l’homme sans la foi ne peut connoître le vrai bien ni la justice. — Tous les hommes recherchent d’être heureux ; cela est sans exception. Quelque différens moyens qu’ils y emploient, ils rendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas, est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues[1]. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre.

Et cependant, depuis un si grand nombre d’années, jamais personne, sans la foi, n’est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent : princes, sujets ; nobles, roturiers ; vieux, jeunes ; forts, foibles ; savans, ignorans ; sains, malades ; de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions.

Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme, devrait bien nous convaincre de notre impuissance d’arriver au bien par nos efforts ; mais l’exemple ne nous instruit point. Il n’est jamais si parfaitement semblable, qu’il n’y ait quelque délicate différence ; et c’est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l’autre. Et ainsi, le présent ne nous satisfaisant jamais, l’espérance nous pipe, et de malheur en malheur, nous mène jusqu’à la mort, qui en est un comble éternel.

Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu même.

Lui seul est son véritable bien ; et depuis qu’il l’a quitté, c’est une

    que l’homme, dans l’état de la création ou dans celui de la grâce, est élevé au-dessus de toute la nature, rendu comme semblable à Dieu, et participant de sa divinité ; l’autre, qu’en l’état de la corruption et du péché, il est déchu de cet état et rendu semblable aux bêtes. Ces deux propositions sont également fermes et certaines. L’Écriture nous les déclare manifestement lorsqu’elle dit en quelques lieux : Deliciæmeæ esse cum filiis hominum (Prov. VIII, 31) ; Effundam spiritum meum super omnem carnem. Dii estis, etc. (Ps. LXXXI, 6), [mes délices sont d’être avec les fils des hommes. Je répandrai mon esprit sur toute chair. Vous êtes des Dieux] ; et qu’elle dit en d’autres : Omnis caro fænum (Is. XL, 6) ; Homo assimilatus est jumentis insipientibus, et similis factus est illis (Ps. XLVIII, 21) ; Dixi in corde meo de filiis hominum. (Ecclés., III), [Toute chair n’est qu’une herbe fanée. L’homme s’est rapproché de la bête qui ne pense point, et s’est fait semblable à elle. J’ai considéré en moi-même les fils des hommes, et j’ai demandé que Dieu les éprouve, et fasse voir qu’ils sont semblables aux bêtes] : par où il paroit clairement que l’homme, par la grâce, est rendu comme semblable à Dieu et participant de sa divinité, et que, sans la grâce, il est comme semblable aux bêtes brutes (Ecclés., III, 11). »

  1. Pascal avait ajouté ces mots, qu’il a barrés : « Je n’écris ces lignes et on ne les lit que parce qu’on y trouve plus de satisfaction. »