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VIE DE BLAISE PASCAL.

incroyable. Il disoit que l’Écriture sainte n’étoit pas une science de l’esprit, mais une science du cœur, qui n’étoit intelligible que pour ceux qui ont le cœur droit, et que tous les autres n’y trouvent que de l’obscurité.

C’est dans cette disposition qu’il la lisoit, renonçant à toutes les lunières de son esprit ; et il s’y étoit si fortement appliqué, qu’il la savoit toute par cœur ; de sorte qu’on ne pouvoit la lui citer à faux ; car lorsqu’on lui disoit une parole sur cela, il disoit positivement : « Cela n’est pas de l’Écriture sainte, » ou : « Cela en est ; » et alors il marquoit précisément l’endroit. Il lisoit aussi les commentaires avec grand soin ; car le respect pour la religion où il avoit été élevé dès sa jeunesse étoit alors changé en un amour ardent et sensible pour toutes les vérités de la foi ; soit pour celles qui regardent la soumission de l’esprit, soit pour celles qui regardent la pratique dans le monde, à quoi toute la religion se termine ; et cet amour le portoit à travailler sans cesse à détruire tout ce qui se pouvoit opposer à ces vérités.

Il avoit une éloquence naturelle qui lui donnoit une facilité merveilleuse à dire ce qu’il vouloit ; mais il avoit ajouté à cela des règles dont on ne s’étoit pas encore avisé, et dont il se servoit si avantageusement, qu’il étoit maître de son style ; en sorte que non-seulement il disoit tout ce qu’il vouloit, mais il le disoit en la manière qu’il vouloit, et son discours faisoit l’effet qu’il s’étoit proposé. Et cette manière d’écrire naturelle, naïve et forte en même temps, lui étoit si propre et si particulière, qu’aussitôt qu’on vit paroître les Lettres au provincial, on vit bien qu’elles étoient de lui, quelque soin qu’il ait toujours pris de le cacher, même à ses proches. Ce fut dans ce temps-là qu’il plut à Dieu de guérir ma fille d’une fistule lacrymale qui avoit fait un si grand progrès dans trois ans et demi, que le pus sortoit non-seulement par l’œil, mais

    Que je n’en sois pas séparé éternellement.

    « Cette est la vie éternelle, qu’ils te connoissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jean, XVII, 3.)

    Jésus-Christ.

    Jésus-Christ.

    Je m’en suis séparé ; je l’ai fui, renoncé, crucifié.

    Que je n’en sois jamais séparé.

    Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile : Renonciation totale et douce.

    Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.

    Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre.

    Non obliviscar sermones tuos. (Ps. CXVIII, 16) Amen.

    Mme Périer ne parle pas de l’accident du pont de Neuilly. En voici le récit, d’après un manuscrit des pères de l’Oratoire de Clermont : « M. Arnoul (de Saint-Victor), curé de Chambourcy, dit qu’il a appris de M. le prieur de Barillon, ami de Mme Périer, que M. Pascal, quelques années avant sa mort, étant allé, selon sa coutume, un jour de fêle, à la promenade au pont de Neuilly avec quelques-uns de ses amis, dans un carrosse à quatre ou six chevaux, les deux chevaux de volée prirent le frein aux dents à l’endroit du pont où il n’y avoit point de garde-fou ; et s’étant précipités dans l’eau, les laisses qui les attachoient au train de derrière se rompirent, en sorte que le carrosse demeura sur le bord du précipice. Ce qui fit prendre la résolution à M. Pascal de rompre ses promenades et de vivre dans une entière solitude. »