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ce qui n’est que pour l’auteur ne vaut rien. Ambitiosa recidet ornamenta[1].


57.

Je me suis mal trouvé de ces complimens : « Je vous ai bien donné de la peine ; Je crains de vous ennuyer ; Je crains que cela soit trop long. » Ou on entraîne, ou on irrite.


58.

Un vrai ami est une chose si avantageuse, même pour les plus grands seigneurs, afin qu’il dise du bien d’eux, et qu’il les soutienne en leur absence même, qu’ils doivent tout faire pour en avoir. Mais qu’ils choisissent bien ; car, s’ils font tous leurs efforts pour des sots, cela leur sera inutile, quelque bien qu’ils disent d’eux : et même ils n’en diront pas du bien, s’ils se trouvent les plus foibles, car ils n’ont pas d’autorité ; et ainsi ils en médiront par compagnie.


59.

Voulez-vous qu’on croie du bien de vous ? n’en dites point.


60.

Je mets en fait que, si tous les hommes savoient ce qu’ils disent les uns des autres, il n’y auroit pas quatre amis dans le monde. Cela paroit par les querelles que causent les rapports indiscrets qu’on en fait quelquefois.


61.

Divertissement. — La mort est plus aisée à supporter sans y penser, que la pensée de la mort sans péril.


62.

Vanité. — Qu’une chose aussi visible qu’est la vanité du monde soit si peu connue, que ce soit une chose étrange et surprenante de dire que c’est une sottise de chercher les grandeurs, cela est admirable !

Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement, et dans la pensée de l’avenir ? Mais ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d’ennui ; ils sentent alors leur néant sans le connoître : car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable aussitôt qu’on est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti.


63.

Pyrrhonisme. — Chaque chose est ici vraie en partie, fausse en partie.

    pense qu’il s’agit de l’épigramme suivante, qui se lit au livre VI de l’Epigrammatum delectus, et dont l’auteur est inconnu :

    Lumine Acon dextro, capta est Leonilla sinistro,
      Et potis est forma vincere uterque deos.
    Blande puer, lumen quod habes concede parenti,
      Sic tu cæcus Amor, sic erit illa Venus.

    « Acon est privé de l’œil droit, Léonilla de l’œil gauche ; et d’ailleurs l’un et l’autre pourraient disputer aux dieux mêmes le prix de la beauté. Charmant enfant, cède à ta mère ton œil unique ; tu seras l’Amour aveugle, et elle sera Vénus. »

  1. Horace, Art poét., 447.