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nomiste : tant il est difficile de ne point démonter un jugement de son assiette naturelle, ou plutôt tant il en a peu de fermes et stables !


43.

Montaigne a tort : la coutume ne doit être suivie que parce qu’elle est coutume, et non parce qu’elle soit raisonnable ou juste ; mais le peuple la suit par cette seule raison qu’il la croit juste : sinon, il ne la suivroit plus, quoiqu’elle fût coutume ; car on ne veut être assujetti qu’à la raison ou à la justice. La coutume, sans cela, passeroit pour tyrannie : mais l’empire de la raison et de la justice n’est non plus tyrannique que celui de la délectation : ce sont les principes naturels à l’homme.


44.

Vanité des sciences. — La science des choses extérieures ne me consolera pas de l’ignorance de la morale au temps d’affliction ; mais la science des mœurs me consolera toujours de l’ignorance des sciences extérieures.


45.

Le temps guérit les douleurs et les querelles, parce qu’on change, on n’est plus la même personne. Ni l’offensant, ni l’offensé, ne sont plus eux-mêmes. C’est comme un peuple qu’on a irrité, et qu’on reverroit après deux générations. Ce sont encore les François, mais non les mêmes.


46.

Condition de l’homme : inconstance, ennui, inquiétude.

Qui voudra connoître à plein la vanité de l’homme n’a qu’à considérer les causes et les effets de l’amour. La cause en est un je sais quoi (Corneille) ; et les effets en sont effroyables. Ce je ne sais quoi, si peu de chose qu’on ne peut le reconnoître, remue toute la terre, les princes, les armées, le monde entier. Le nez de Cléopatre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre auroit changé.


47.

César étoit trop vieil, ce me semble, pour s’aller amuser à conquérir le monde. Cet amusement étoit bon à Auguste ou à Alexandre ; c’étoient des jeunes gens, qu’il est difficile d’arrêter ; mais César devoit être plus mûr.


48.

Le sentiment de la fausseté des plaisirs présens, et l’ignorance de la vanité des plaisirs absens, causent l’inconstance.


49.

L’éloquence continue ennuie.

Les princes et rois jouent quelquefois. Ils ne sont pas toujours sur leurs trônes ; ils s’y ennuient. La grandeur a besoin d’être quittée pour être sentie. La continuité dégoûte en tout. Le froid est agréable pour se chauffer.


50.

Mon humeur[1] ne dépend guère du temps : j’ai mes brouillards et mon

  1. Avant cet alinéa, on lit dans le manuscrit : « Lustravit lampade terras : Le temps et mes humeurs ont peu de liaison. »