Les grands et les petits ont mêmes accidens, et mêmes fâcheries, et mêmes passions ; mais l’un est au haut de la roue, et l’autre près du centre, et ainsi moins agité par les mêmes mouvemens.
Quoique les personnes n’aient point d’intérêt à ce qu’elles disent, il ne faut pas conclure de là absolument qu’elles ne mentent point ; car il y a des gens qui mentent simplement pour mentir.
L’exemple de la chasteté d’Alexandre n’a pas tant fait de continens que celui de son ivrognerie a fait d’intempérans. Il n’est pas honteux de n’être pas aussi vertueux que lui, et il semble excusable de n’être pas plus vicieux que lui. On croit n’être pas tout à fait dans les vices du commun des hommes quand on se voit dans les vices de ces grands hommes ; et cependant on ne prend pas garde qu’ils sont en cela du commun des hommes. On tient à eux par le bout par où ils tiennent au peuple ; car quelque élevés qu’ils soient, si sont-ils unis aux moindres des hommes par quelque endroit. Ils ne sont pas suspendus en l’air, tout abstraits de notre société. Non, non ; s’ils sont plus grands que nous, c’est qu’ils ont la tête plus élevée ; mais ils ont les pieds aussi bas que les nôtres. Ils y sont tous à même niveau, et s’appuient sur la même terre ; et par cette extrémité ils sont aussi abaissés que nous, que les plus petits, que les enfans, que les bêtes.
Rien ne nous plaît que le combat, mais non pas la victoire. On aime à voir les combats des animaux, non le vainqueur acharné sur le vaincu. Que vouloit-on voir, sinon la fin de la victoire ? Et dès qu’elle arrive, on en est soûl. Ainsi dans le jeu, ainsi dans la recherche de la vérité. On aime à voir dans les disputes le combat des opinions ; mais de contempler la vérité trouvée, point du tout. Pour la faire remarquer avec plaisir, il faut la voir faire naître de la dispute. De même, dans les passions, il y a du plaisir à voir deux contraires se heurter : mais quand l’une est maîtresse, ce n’est plus que brutalité. Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses. Ainsi, dans la comédie, les scènes contentes sans crainte ne valent rien, ni les extrêmes misères sans espérance, ni les amours brutaux, ni les sévérités âpres.
On n’apprend pas aux hommes à être honnêtes hommes, et on leur apprend tout le reste ; et ils ne se piquent jamais tant de savoir rien du reste, comme d’être honnêtes hommes. Ils ne se piquent de savoir que la seule chose qu’ils n’apprennent point.
Préface de la première partie. — Parler de ceux qui ont traité de la connoissance de soi-même, des divisions de Charron, qui attristent et ennuient, de la confusion de Montaigne ; qu’il avoit bien senti le défaut du droit de méthode, qu’il l’évitoit en sautant de sujet en sujet, qu’il cherchoit le bon air. Le sot projet qu’il a de se peindre ! et cela non pas en passant et contre ses maximes, comme il arrive à tout le