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de communication qu’on en peut avoir m’en avoit dégoûté. Quand j’ai commencé l’étude de l’homme, j’ai vu que ces sciences abstraites ne lui sont pas propres, et que je m’égarois plus de ma condition en y pénétrant que les autres en les ignorant ; j’ai pardonné aux autres d’y peu savoir. Mais j’ai cru trouver au moins bien des compagnons en l’étude de l’homme, et que c’est la vraie étude qui lui est propre. J’ai été trompé. Il y en a encore moins qui l’étudient que la géométrie. Ce n’est que manque de savoir étudier cela qu’on cherche le reste. Mais n’est-ce pas que ce n’est pas encore là la science que l’homme doit avoir, et qu’il lui est meilleur de l’ignorer pour être heureux ?


27.

Quand tout se remue également, rien ne se remue en apparence : comme en un vaisseau. Quand tous vont vers le dérèglement, nul ne semble y aller. Celui qui s’arrête fait remarquer l’emportement des autres, comme un point fixe.


28.

Ordre. — Pourquoi prendrai-je plutôt à diviser ma morale en quatre qu’en six ? Pourquoi établirai-je plutôt la vertu en quatre, en deux, en un ? Pourquoi en abstine et sustine[1] plutôt qu’en suivre nature[2], ou faire ses affaires particulières sans injustice, comme Platon, ou autre chose ? Mais voilà, direz-vous, tout renfermé en un mot. Oui, mais cela est inutile, si on ne l’explique ; et quand on vient à l’expliquer, dès qu’on ouvre ce précepte qui contient tous les autres, ils en sortent en la première confusion que vous vouliez éviter. Ainsi, quand ils sont tous renfermés en un, ils y sont cachés et inutiles, comme en un coffre, et ne paroissent jamais qu’en leur confusion naturelle. La nature les a tous établis sans renfermer l’un en l’autre.

La nature a mis toutes ses vérités chacune en soi-même. Notre art les renferme les unes dans les autres, mais cela n’est pas naturel. Chacune tient sa place.


29.

Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela, car il voit qu’il ne se trompoit pas, et qu’il manquoit seulement à voir tous les côtés. Or, on ne se fâche pas de ne pas tout voir. Mais on ne veut pas s’être trompé ; et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage ; comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.


30.

Ce que peut la vertu d’un homme ne se doit pas mesurer par ses efforts, mais par son ordinaire.

  1. Formule de la morale stoïcienne.
  2. Formule de la morale épicurienne.