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VIE DE BLAISE PASCAL.

noître et à pratiquer la perfection de la morale chrétienne, à laquelle il a consacré tous les talens que Dieu lui avoit donnés, n’ayant fait autre chose dans tout le reste de sa vie que de méditer la loi de Dieu jour et nuit. Mais, quoiqu’il n’eût pas fait une étude particulière de la scolastique, il n’ignoroit pourtant pas les décisions de l’Église contre les hérésies qui ont été inventées par la subtilité de l’esprit ; et c’est contre ces sortes de recherches qu’il étoit le plus animé, et Dieu lui donna dès ce temps-là une occasion de faire paroître le zèle qu’il avoit pour la religion.

Il étoit alors à Rouen, où mon père étoit employé pour le service du roi, et il y avoit aussi en ce même temps un homme qui enseignoit une nouvelle philosophie qui attiroit tous les curieux. Mon frère, ayant été pressé d’y aller par deux jeunes hommes de ses amis, y fut avec eux : mais ils furent bien surpris, dans l’entretien qu’ils eurent avec cet homme, qu’en leur débitant les principes de sa philosophie, il en tiroit des conséquences sur des points de foi, contraires aux décisions de l’Église. Il prouvoit par ses raisonnemens que le corps de Jésus-Christ n’étoit pas formé du sang de la sainte Vierge, mais d’une autre matière créée exprès, et plusieurs autres choses semblables. Ils voulurent le contredire ; mais il demeura ferme dans ce sentiment. De sorte qu’ayant considéré entre eux le danger qu’il y avoit de laisser la liberté d’instruire la jeunesse à un homme qui avoit des sentimens erronés, ils résolurent de l’avertir premièrement, et puis de le dénoncer s’il résistoit à l’avis qu’on lui donnoit. La chose arriva ainsi, car il méprisa cet avis : de sorte qu’ils crurent qu’il étoit de leur devoir de le dénoncer à M. du Bellay[1], qui faisoit pour lors les fonctions épiscopales dans le diocèse de Rouen, par commission de M. l’archevêque. M. du Bellay envoya querir cet homme, et, l’ayant interrogé, il fut trompé par une confession de foi équivoque qu’il lui écrivit et signa de sa main, faisant d’ailleurs peu de cas d’un avis de cette importance qui lui étoit donné par trois jeunes hommes.

Cependant, aussitôt qu’ils virent cette confession de foi, ils connurent ce défaut ; ce qui les obligea d’aller trouver à Gaillon M. l’archevêque de Rouen, qui, ayant examiné toutes ces choses, les trouva si importantes, qu’il écrivit une patente à son conseil, et donna un ordre exprès à M. du Bellay de faire rétracter cet homme sur tous les points dont il étoit accusé, et de ne recevoir rien de lui que par la communication de ceux qui l’avoient dénoncé. La chose fut exécutée ainsi, et il comparut dans le conseil de M. l’archevêque, et renonça à tous ses sentimens : et on peut dire que ce fut sincèrement ; car il n’a jamais témoigné de fiel contre ceux qui lui avoient causé cette affaire : ce qui fait croire qu’il étoit lui-même trompé par de fausses conclusions qu’il tiroit de ses faux principes. Aussi étoit-il bien certain qu’on n’avoit eu en cela aucun dessein de lui nuire, ni d’autres vues que de le détromper par lui-même, et l’empêcher de séduire les jeunes gens qui n’eussent pas été capables de discerner le vrai d’avec le faux dans des questions si subtiles. Ainsi

  1. Camus, disciple de saint François de Sales. G. Pascal l’appelle M. du Bellay, par erreur ; il fallait dire M. de Belley : Camus, ancien évêque de Belley.