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qui il avoit une très-grande estime, et en qui il voyoit une grande science accompagnée dun raisonnement fort et puissant, faisoient tant d’impression sur son esprit, que, quelques discours qu’il entendit faire aux libertins, il n’en étoit nullement ému ; et, quoiqu’il fût fort jeune, il les regardoit comme des gens qui étoient dans ce faux principe, que la raison humaine est au-dessus de toutes choses, et qui ne connoissoient pas la nature de la foi.

Mais enfin, après avoir ainsi passé sa jeunesse dans des occupations et des divertissemens qui paroissoient assez innocens aux yeux du monde, Dieu le toucha de telle sorte, qu’il lui fit comprendre parfaitement que la religion chrétienne nous oblige à ne vivre que pour lui, et à n’avoir point d’autre objet que lui. Et cette vérité lui parut si évidente. si utile et si nécessaire, qu’elle le fit résoudre de se retirer, et de se dégager peu à peu de tous les attachemens qu’il avoit au monde pour pouvoir s’y appliquer uniquement.

Ce désir de la retraite, et de mener une vie plus chrétienne et plus réglée, lui vint lorsqu’il étoit encore fort jeune ; et il le porta dès lors à quitter entièrement l’étude des sciences profanes pour ne s’appliquer plus qu’à celles qui pouvoient contribuer à son salut et à celui des autres. Mais de continuelles maladies qui lui survinrent le détournèrent quelque temps de son dessein, et l’empêchèrent de le pouvoir exécuter plus tôt qu’à l’âge de trente ans.

Ce fut alors qu’il commença à y travailler tout de bon ; et, pour y parvenir plus facilement, et rompre tout d’un coup toutes ses habitudes, il changea de quartier, et ensuite se retira à la campagne, où il demeura quelque temps : d’où, étant de retour, il témoigna si bien qu’il vouloit quitter le monde, qu’enfin le monde le quitta. Il établit le règlement de sa vie dans sa retraite sur deux maximes principales, qui sont de renoncer à tout plaisir et à toute superfluité. Il les avoit sans cesse devant les yeux, et il tâchoit de s’y avancer et de s’y perfectionner toujours de plus en plus.

C’est l’application continuelle qu’il avoit à ces deux grandes maximes qui lui faisoit témoigner une si grande patience dans ses maux et dans ses maladies, qui ne l’ont presque jamais laissé sans douleur pendant toute sa vie ; qui lui faisoit pratiquer des mortifications très-rudes et très-sévères envers lui-même ; qui faisoit que non-seulement il refusoit à ses sens tout ce qui pouvoit leur être agréable, mais encore qu’il prenoit sans peine, sans dégoût, et même avec joie, lorsqu’il le falloit, tout ce qui leur pouvoit déplaire, soit pour la nourriture, soit pour les remèdes ; qui le portoit à se retrancher tous les jours de plus en plus tout ce qu’il ne jugeoit pas lui être absolument nécessaire, soit pour le vêtement, soit pour la nourriture, pour les meubles, et pour toutes les autres choses ; qui lui donnoit un amour si grand et si ardent pour la pauvreté, qu’elle lui étoit toujours présente, et que, lorsqu’il vouloit entreprendre quelque chose, la première pensée qui lui venoit en l’esprit, étoit de voir si la pauvreté pouvoit être pratiquée, et qui lui faisoit avoir en même temps tant de tendresse et tant d’affection pour les pauvres, qu’il ne leur a jamais pu refuser l’aumône, et qu’il en a fait même fort souvent d’assez considérables, quoiqu’il n’en fit que de son nécessaire : qui faisoit qu’il ne pouvoit souffrir qu’on cherchât avec soin toutes ses commodités, et qu’il blâmoit tant cette recherche curieuse et cette fantaisie de vouloir exceller en tout, comme de se servir en toutes choses des meilleurs ouvriers, d’avoir toujours du meilleur et du mieux fait, et mille autres choses semblables qu’on fait sans scrupule, parce qu’on ne croit pas qu’il y ait de mal, mais dont il ne jugeoit