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étoit parfaitement bien gravé dans son esprit et dans sa mémoire ; mais ayant négligé de l’écrire lorsqu’il l’auroit peut-être pu faire, il se trouva, lorsqu’il l’auroit bien voulu, hors d’état d’y pouvoir du tout travailler.

Il se rencontra néanmoins une occasion, il y a environ dix ou douze ans, en laquelle on l’obligea, non pas d’écrire ce qu’il avoit dans l’esprit sur ce sujet-là, mais d’en dire quelque chose de vive voix. Il le fit donc en présence et à la prière de plusieurs personnes très-considérables de ses amis. Il leur développa en peu de mots le plan de tout son ouvrage : il leur représenta ce qui en devoit faire le sujet et la matière ; il leur en rapporta en abrégé les raisons et les principes, et il leur expliqua l’ordre et la suite des choses qu’il y vouloit traiter. Et ces personnes, qui sont aussi capables qu’on le puisse être de juger de ces sortes de choses, avouent qu’elles n’ont jamais rien entendu de plus beau, de plus fort, de plus touchant, ni de plus convaincant ; qu’elles en furent charmées ; et que ce qu’elles virent de ce projet et de ce dessein dans un discours de deux ou trois heures fait ainsi sur-le-champ, et sans avoir été prémédité ni travaillé, leur fit juger ce que ce pourroit être un jour, s’il étoit jamais exécuté et conduit à sa perfection par une personne dont elles connoissoient la force et la capacité ; qui avoit accoutumé de travailler tellement tous ses ouvrages, qu’il ne se contentoit presque jamais de ses premières pensées, quelque bonnes qu’elles parussent aux autres ; et qui a refait souvent, jusqu’à huit ou dix fois, des pièces que tout autre que lui trouvoit admirables dès la première.

Après qu’il leur eut fait voir quelles sont les preuves qui font le plus d’impression sur l’esprit des hommes, et qui sont les plus propres a les persuader, il entreprit de montrer que la religion chrétienne avoit autant de marques de certitude et d’évidence que les choses qui sont reçues dans le monde pour les plus indubitables.

Il commença d’abord par une peinture de l’homme, où il n’oublia rien de tout ce qui le pouvoit faire connoître et au dedans et au dehors de lui-même, et jusqu’aux plus secrets mouvemens de son cœur. Il supposa ensuite un homme qui, ayant toujours vécu dans une ignorance générale, et dans l’indifférence à l’égard de toutes choses, et surtout à l’égard de soi-même, vient enfin à se considérer dans ce tableau, et à examiner ce qu’il est. Il est surpris d’y découvrir une infinité de choses auxquelles il n’a jamais pensé ; et il ne sauroit remarquer, sans étonnement et sans admiration, tout ce que Pascal lui fait sentir de sa grandeur et de sa bassesse, de ses avantages et de ses foiblesses, du peu de lumières qui lui reste, et des ténèbres qui l’environnent presque de toutes parts, et enfin de toutes les contrariétés étonnantes qui se trouvent dans sa nature. Il ne peut plus après cela demeurer dans l’indifférence, s’il a tant soit peu de raison ; et quelque insensible qu’il ait été jusqu’alors, il doit souhaiter, après avoir ainsi connu ce qu’il est, de connoître aussi d’où il vient et ce qu’il doit devenir.

Pascal, l’ayant mis dans cette disposition de chercher à s’instruire sur un doute si important, l’adresse premièrement aux philosophes, et c’est là qu’après lui avoir développé tout ce que les plus grands philosophes de toutes les sectes ont dit sur le sujet de l’homme, il lui fait observer tant de défauts, tant de foiblesses, tant de contradictions, et tant de faussetés dans tout ce qu’ils en ont avancé, qu’il n’est pas difficile à cet homme de juger que ce n’est pas là où il doit s’en tenir.

Il lui fait ensuite parcourir tout l’univers et tous les âges, pour lui faire remarquer une infinité de religions qui s’y rencontrent ; mais il lui fait voir en même temps, par des raisons si fortes et si convaincantes, que toutes ces religions ne sont remplies que de vanité, de folies,