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PENSÉES.




PRÉFACE.


Où l’on fait voir de quelle manière ces Pensées ont été écrites et recueillies ; ce qui en a fait retarder l’impression ; quel étoit le dessein de l’auteur dans cet ouvrage, et comment il a passé les dernières années de sa vie[1].


Pascal, ayant quitté fort jeune l’étude des mathématiques, de la physique, et des autres sciences profanes, dans lesquelles il avoit fait un si grand progrès, commença, vers la trentième année de son âge, à s’appliquer à des choses plus sérieuses et plus relevées, et à s’adonner uniquement, autant que sa santé le put permettre, à l’étude de l’Écriture, des Pères, et de la morale chrétienne.

Mais quoiqu’il n’ait pas moins excellé dans ces sortes de sciences, comme il l’a bien fait paroître par des ouvrages qui passent pour assez achevés en leur genre, on peut dire néanmoins que, si Dieu eût permis qu’il eût travaillé quelque temps à celui qu’il avoit dessein de faire sur la religion, et auquel il vouloit employer tout le reste de sa vie, cet ouvrage eût beaucoup surpassé tous les autres qu’on a vus de lui ; parce qu’en effet les vues qu’il avoit sur ce sujet étoient infiniment au-dessus de celles qu’il avoit sur toutes les autres choses.

Je crois qu’il n’y aura personne qui n’en soit facilement persuadé en voyant seulement le peu que l’on en donne à présent, quelque imparfait qu’il paroisse : et principalement sachant la manière dont il y a travaillé, et toute l’histoire du recueil qu’on en a fait. Voici comment tout cela s’est passé.

Pascal conçut le dessein de cet ouvrage plusieurs années avant sa mort ; mais il ne faut pas néanmoins s’étonner s’il fut si longtemps sans en rien mettre par écrit : car il avoit toujours accoutumé de songer beaucoup aux choses, et de les disposer dans son esprit avant que de les produire au dehors, pour bien considérer et examiner avec soin celles qu’il falloit mettre les premières ou les dernières, et l’ordre qu’il leur devoit donner à toutes, afin qu’elles pussent faire l’effet qu’il désiroit. Et comme il avoit une mémoire excellente, et qu’on peut dire même prodigieuse, en sorte qu’il a souvent assuré qu’il n’avoit jamais rien oublié de ce qu’il avoit une fois bien imprimé dans son esprit ; lorsqu’il s’étoit ainsi quelque temps appliqué à un sujet, il ne craignoit pas que les pensées qui lui étoient venues lui pussent jamais échapper ; et c’est pourquoi il différoit assez souvent de les écrire, soit qu’il n’en eût pas le loisir, soit que sa santé, qui a presque toujours été languissante, ne fût pas assez forte pour lui permettre de travailler avec application.

C’est ce qui a été cause que l’on a perdu à sa mort la plus grande partie de ce qu’il avoit déjà conçu touchant son dessein ; car il n’a presque rien écrit des principales raisons dont il vouloit se servir, des fondemens sur lesquels il prétendoit appuyer son ouvrage, et de l’ordre qu’il vouloit y garder ; ce qui étoit assurément très-considérable. Tout cela

  1. Nous croyons utile de publier la préface de la première édition des Pensées. Cette préface a été écrite par Étienne Périer en 1669.