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afin que les sens, qui ne jugent que de ces accidens, ne fussent pas trompés, ut sensus adeceptione reddantur immunes.

Concluons donc de là que, quelques propositions qu’on nous présente à examiner, il en faut d’abord reconnoître la nature, pour voir auquel de ces trois principes nous devons nous en rapporter. S’il s’agit d’une chose surnaturelle, nous n’en jugerons ni par les sens ni par la raison, mais par l’Écriture et par les décisions de l’Église. S’il s’agit d’une proposition non révélée, et proportionnée à la raison naturelle, elle en sera le propre juge. Et s’il s’agit enfin d’un point de fait, nous en croirons les sens, auxquels il appartient naturellement d’en connoître.

Cette règle est si générale, que, selon saint Augustin et saint Thomas, quand l’Écriture même nous présente quelque passage dont le premier sens littéral se trouve contraire à ce que les sens ou la raison reconnoissent avec certitude, il ne faut pas entreprendre de les désavouer en cette rencontre pour les soumettre à l’autorité de ce sens apparent de l’Écriture ; mais il faut interpréter l’Écriture, et y chercher un autre sens qui s’accorde avec cette vérité sensible ; parce que, la parole de Dieu étant infaillible dans les faits mêmes, et le rapport des sens et de la raison agissant dans leur étendue étant certain aussi, il faut que ces deux vérités s’accordent ; et comme l’Écriture se peut interpréter en différentes manières, au lieu que le rapport des sens est unique, on doit, en ces matières, prendre pour la véritable interprétation de l’Écriture celle qui convient au rapport fidèle des sens. « Il faut, dit saint Thomas (Ire part., quest. LXVIII, art. 1), observer deux choses, selon saint Augustin : l’une, que l’Écriture a toujours un sens véritable ; l’autre que, comme elle peut recevoir plusieurs sens, quand on en trouve un que la raison convainc certainement de fausseté, il ne faut pas s’obstiner à dire que c’en soit le sens naturel, mais en chercher un autre qui s’y accorde. »

C’est ce qu’il explique par l’exemple du passage de la Genèse, où il est écrit « que Dieu créa deux grands luminaires, le soleil et la lune, et aussi les étoiles ; » par où l’Écriture semble dire que la lune est plus grande que toutes les étoiles ; mais parce qu’il est constant, par des démonstrations indubitables, que cela est faux, on ne doit pas. dit ce saint, s’opiniàtrer à défendre ce sens littéral, mais il faut en chercher un autre conforme à cette vérité de fait ; comme en disant « que le mot de grand luminaire ne marque que la grandeur de la lumière de la lune à notre égard, et non pas la grandeur de son corps en lui-même. » Que si l’on vouloit en user autrement, ce ne seroit pas rendre l’Écriture vénérable, mais ce seroit au contraire l’exposer au mépris des infidèles ; « parce, comme dit saint Augustin (de Genesi ad litteram, lib. I, cap. XIX), que, quand ils auroient connu que nous croyons dans l’Écriture des choses qu’ils savent certainement être fausses, ils se riroient de notre crédulité dans les autres choses qui sont plus cachées, comme la résurrection des morts et la vie éternelle. » Et ainsi, ajoute saint Thomas, « ce seroit leur rendre notre religion méprisable, et même leur en fermer l’entrée. »

Et ce seroit aussi, mon père, le moyen d’en fermer l’entrée aux hé-