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les papes sont exposés à être surpris. Mais, pour vous le montrer parfaitement, je vous ferai seulement ressouvenir des exemples que vous mêmes rapportez dans votre livre, de papes et d’empereurs, que des hérétiques ont surpris effectivement. Car vous dites qu’Apollinaire surprit le pape Damase, de même que Célestius surprit Zozime. Vous dit encore qu’un nommé Athanase trompa l’empereur Héraclius, et porta à persécuter les catholiques ; et qu’enfin Sergius obtint d’Honorius ce décret qui fut brûlé au sixième concile, en faisant, dites-vous, bon valet auprès de ce pape.

Il est donc constant par vous-même que ceux, mon père, qui en use ainsi auprès des rois et des papes, les engagent quelquefois artificieusement à persécuter ceux qui défendent la vérité de la foi en pensant persécuter des hérésies. Et de là vient que les papes, qui n’ont rien tant en horreur que ces surprises, ont fait d’une lettre d’Alexandre III une loi ecclésiastique, insérée dans le droit canonique, pour permettre de suspendre l’exécution de leurs bulles et de leurs décrets quand on croit qu’ils ont été trompés. « Si quelquefois, dit ce pape à l’archevêque de Ravenne (cap. v, Extr. de Rescrip.), nous envoyons à Votre Fraternité des décrets qui choquent vos sentimens, ne vous en inquiétez pas. Car ou vous les exécuterez avec révérence, ou vous nous manderez la raison que vous croyez avoir de ne le pas faire ; parce que nous trouverons bon que vous n’exécutiez pas un décret qu’on auroit tiré de nous par surprise et par artifice. » C’est ainsi qu’agissent les papes qui ne cherchent qu’à éclaircir les différends des chrétiens, et non pas à suivre la passion de ceux qui veulent y jeter le trouble. Ils n’usent pas de domination, comme disent saint Pierre et saint Paul après Jésus-Christ, mais l’esprit qui paroît en toute leur conduite est celui de paix et de vérité. Ce qui fait qu’ils mettent ordinairement dans leurs lettres cette clause, qui est sous-entendue en toutes : Si ita est ; si preces veritatem nitantur : « Si la chose est comme on nous la fait entendre ; si les faits sont véritables. » D’où il se voit que, puisque les papes ne donnent de force à leurs bulles qu’à mesure qu’elles sont appuyées sur des faits véritables, ce ne sont pas les bulles seules qui prouvent la vérité des faits ; mais qu’au contraire, selon les canonistes mêmes, c’est la vérité des faits qui rend les bulles recevables.

D’où apprendrons-nous donc la vérité des faits ? Ce sera des yeux, mon père, qui en sont les légitimes juges, comme la raison l’est des choses naturelles et intelligibles, et la foi des choses surnaturelles et révélées. Car, puisque vous m’y obligez, mon père, je vous dirai que, selon les sentimens de deux des plus grands docteurs de l’Église. saint Augustin et saint Thomas, ces trois principes de nos connoissances, les sens, la raison et la foi, ont chacun leurs objets séparés, et leur certitude dans cette étendue. Et comme Dieu a voulu se servir de l’entremise des sens pour donner entrée à la foi, fides ex auditu, tant s’en faut que la foi détruise la certitude des sens, que ce seroit au contraire détruire la foi que de vouloir révoquer en doute le rapport fidèle des sens. C’est pourquoi saint Thomas remarque expressément que Dieu a voulu que les accidens sensibles subsistassent dans l’eucharistie,