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iv
AVERTISSEMENT.

créateurs du calcul des probabilités ; il en fit un usage qui n’a pas été assez remarque : il l’employa au développement d’une puissance quelconque d’un binôme, en sorte que, s’il eût consenti à employer l’algorithme algébrique, la fameuse formule du binôme devrait porter le nom de Pascal et non celui de Newton. Il en fit un usage encore plus curieux, sinon plus important, quand il l’appliqua à la géométrie infinitésimale, à la détermination des centres de gravité, aux quadratures, aux cubatures. On ne saurait trop admirer la finesse et la pénétration d’esprit qu’il a fallu pour résoudre par la seule force du raisonnement les problèmes qu’il avait abordés, problèmes qui tous reviennent à opérer des intégrations. Au reste, ce n’est pas la seule occasion dans laquelle Pascal ait appliqué à la géométrie les résultats fournis par la théorie des nombres : dans un de ses traités, relatifs à la sommation des puissances semblables des termes d’une progression arithmétique, il termine en faisant remarquer que cette sommation conduit à trouver l’aire de toutes les courbes paraboliques, en appliquant aux quantités continues les résultats trouvés pour les nombres. Il formula ainsi réellement les premières règles d’intégration.

Pour résumer l’impression que fait éprouver la lecture des travaux mathématiques de Pascal, il nous semble que, si l’on ne peut trop admirer tout ce qu’il a fallu de pénétration et de puissance d’esprit pour les produire, l’on ne peut en même temps se défendre d’un profond regret en songeant à tout ce que ce puissant génie aurait produit encore s’il avait consenti à ne pas se dédaigner lui-même.

Les deux grands ouvrages philosophiques de Pascal présentent le même caractère. Ils donnent l’idée d’une force dont le développement est demeuré incomplet : cela est vrai, même des Provinciales, quoiqu’elles forment un monument achevé, et qui sera à jamais le modèle du genre. On comprend, en les lisant, que cette éloquence, cette ironie sans égale, ces ressources infinies de dialectique, auraient pu foudroyer des adversaires plus puissants qu’Escobar, et on souffre de voir ce grand génie enfermé si souvent dans de vaines subtilités sur la grâce. Quant aux Pensées, tout le monde sait qu’elles devaient entrer dans une vaste apologie de la religion chrétienne que Pascal préparait. Nous n’avons là que des pierres taillées à l’avance, éparses sans ordre dans le chantier ; et nul ne peut présumer ce que serait devenu l’édifice élevé par un tel architecte. Un des traits caractéristiques de Pascal, c’est le mépris du convenu ; c’est ce qui frappe à chaque pas chez lui, et ce qui lui fait trouver des vérités si frappantes, et les exprimer avec tant d’originalité et de force. Il est royaliste, comme tout le monde l’était de son temps ; et pourtant, il sait à fond ce que c’est que la royauté, et il