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(chap. III), lorsqu’il dit : « L’amour de l’argent et le désir de la gloire sont des folies que le monde croit permises ; et on s’imagine que l’avarice, l’ambition, le luxe, les divertissemens des spectacles sont innocens, lorsqu’ils ne nous font point tomber dans quelque crime ou quelque désordre que les lois défendent. » L’ambition consiste à désirer l’élèvement pour l’élèvement, et l’honneur pour l’honneur, comme l’avarice à aimer les richesses pour les richesses. Si vous y joignez les moyens injustes, vous la rendez plus criminelle ; mais, en substituant des moyens légitimes, vous ne la rendez pas innocente. Or, Vasquez ne parle pas de ces occasions dans lesquelles quelques gens de bien désirent de changer de condition, et sont dans l’attente probable de le faire, comme dit le cardinal Cajetan. S’il en parloit, il auroit été ridicule d’en conclure, comme il a fait, que l’on ne trouve presque jamais de superflu dans les gens du monde ; puisque des occasions très-rares, qui ne peuvent arriver qu’une ou deux fois dans la vie, et qui ne se rencontrent que dans un très-petit nombre de riches, à qui Dieu fait connoître qu’ils ne se nuiront pas à eux-mêmes en s’élevant pour servir les autres, ne peuvent pas empêcher que la plupart des riches n’aient beaucoup de superflu. Mais il parle d’un désir vague et indéterminé de s’agrandir, il parle d’un désir de s’élever sans aucunes bornes ; puisque, s’il étoit borné, les riches commenceroient d’avoir du superflu lorsqu’ils y seroient arrivés.

Et enfin il croit que ce désir est si généralement permis, qu’il empêche tous les riches d’avoir presque jamais du superflu.

C’est, monsieur, afin que vous l’entendiez, cette prétention de s’agrandir et de s’élever toujours dans le siècle à une condition plus haute, quoique par des moyens légitimes, ad statum quem licite possunt acquirere, que l’auteur des Lettres a appelée du nom d’ambition, parce que c’est le nom que les pères lui donnent, et qu’on lui donne même dans le monde. Il n’a pas été obligé d’imiter une des plus ordinaires adresses de ces mauvais casuites, qui est de bannir les noms des vices, et de retenir les vices mêmes sous d’autres noms. Quand donc ces paroles, statum quem licite possunt acquirere, auroient été dans le passage qu’il a cité, il n’auroit pas eu besoin de les retrancher pour les rendre criminel. C’est en les y joignant qu’il a droit d’accuser Vasquez que, selon lui, il ne faut qu’avoir de l’ambition pour n’avoir point des superflu. Il n’est pas le premier qui a tiré cette conséquence de cette doctrine. M. du Val l’avoit fait avant lui en termes formels, en combattant cette mauvaise maxime (t. II, quest. VIII, p. 576) : « Il s’ensuivroit, dit-il, que celui qui désireroit une plus haute dignité, c’est-à-dire qui auroit une plus grande ambition, n’auroit point de superflu, quoiqu’il eût beaucoup plus qu’il ne lui faut selon sa condition présente : Sequeretur eum qui hanc dignitatem cuperet, seu qui MAJORI AMBITIONE DUCERETUR, havendo plurima supra decentiam sui status,non habiturum superflua. »

Vous avez donc fort mal réussi, monsieur, dans les deux premières faussetés que vous reprochez à l’auteur des Lettres. Voyons si vous serez mieux fondé dans les deux autres que vous l’accusez d’avoir faites en se