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REFUTATION DE LA REPONSE A LA LETTRE XII.

qu’elle se voit au même lieu que ces paroles : Statum quem licite possuunt acquirere, par lesquelles vous prétendez l’éluder. Vous chicanez donc inutilement sur le principe, lorsque vous êtes obligé de vous taire sur les conséquences qui sont formellement dans Vasquez, et qui suffisent pour anéantir le précepte de Jésus-Christ, comme on l’a accusé de l’avoir fait. Si Vasquez les avoit mal tirées de son principe, il y auroit joint une faute de jugement avec une erreur dans la morale ; et il n’en seroit pas plus innocent, ni le précepte de Jésus-Christ moins anéanti. Mais il paraîtra, par la réfutation de la seconde fausseté que vous reprochez à l’auteur des Lettres, que ces mauvaises conséquences sont bien tirées du mauvais principe que Vasquez établit au même lieu ; et que ce jésuite n’a pas péché contre les règles du raisonnement, mais contre celles de l’Évangile.

Cette seconde fausseté que vous dites qu’il a dissimulée après en avoir été convaincu, est qu’il a omis ces paroles par un dessein outrageux, pour corrompre la pensée de ce père et en tirer cette conclusion scandaleuse, « qu’il ne faut, selon Vasquez, qu’avoir beaucoup d’ambition pour n’avoir point de superflu ; » sur cela, monsieur, je vous pourrois dire, en un mot, qu’il n’y eut jamais d’accusation moins raisonnable que celle-là. Les jésuites ne se sont jamais plaints de cette conséquence. Et cependant vous reprochez à l’auteur des Lettres de n’avoir pas répondu à une objection qu’on ne lui avoit pas encore faite. Mais si vous croyez avoir été en cela plus clairvoyant que toute cette Compagnie, il sera aisé de vous guérir de cette vanité, qui seroit injurieuse à ce grand corps. Car comment pouvez-vous nier que de ce principe de Vasquez, « ce que l’on garde pour relever sa condition ou celle de ses parens n’est pas appelé superflu, » on ne conclue nécessairement qu’il ne faut qu’avoir beaucoup d’ambition pour n’avoir point de superflu ? Je vous permets de bon cœur d’y ajouter encore la condition qu’il exprime en un autre endroit, qui est que l’on ne veuille relever son état que par les voies légitimes : Statum quem licite possunt acquirere. Cela n’empêchera pas la vérité de la conséquence que vous accusez de fausseté.

Il est vrai, monsieur, qu’il y a quelques riches qui peuvent relever leur condition par des voies légitimes. L’utilité publique en peut quelquefois justifier le désir, pourvu qu’ils ne considèrent pas tant leur propre honneur et leur propre intérêt que l’honneur de Dieu et l’intérêt du public ; mais il est très-rare que l’esprit de Jésus-Christ, sans lequel il n’y a point d’intentions pures, inspire ces sortes de désirs aux riches du monde : il les porte bien plutôt à diminuer ce poids inutile qui les empêche de s’élever vers le ciel, et à craindre ces paroles de son Évangile, « que celui qui s’élève sera abaissé. » Ainsi ces désirs que l’on voit dans la plupart des hommes du siècle, de monter toujours à une condition plus haute, et d’y faire monter leurs parens, quoique par des voies légitimes, ne sont pour l’ordinaire que des effets d’une cupidité terrestre et d’une véritable ambition. Car c’est, monsieur, une erreur grossière de croire qu’il n’y ait point d’ambition à désirer de relever sa condition que lorsqu’on se veut servir de moyens injustes ; et c’est cette erreur que saint Augustin condamne dans le livre de la Patience