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Ils ont rempli ton nid de l’odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirions : « C’est bien ; les pauvres, à genoux ! » ;
Nous dorerions ton Louvre en donnant nos gros sous,
Et tu te soûlerais, tu ferais belle fête,
Et ces Messieurs riraient, les reins sur notre tête ?

« Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! le Peuple n’est plus une putain. Trois pas,
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière.
Cette bête suait du sang par chaque pierre ;
Et c’était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !
Citoyen, citoyen, c’était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose, au cœur, comme l’amour ;
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines,
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines,
Nous allions fiers et forts, et ça nous battait là !
Nous marchions au soleil, front haut, comme cela,
Dans Paris ; on venait devant nos vestes sales ;
Enfin, nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles,
Sire ; nous étions soûls de terribles espoirs.
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main, nous n’eûmes pas de haine.
Nous nous sentions si forts : nous voulions être doux !…

« Et, depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Le tas des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s’en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards ;
Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l’épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle ;
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !