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Maintenant, les petits sommeillent, tristement.
Vous diriez, à les voir, qu’ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible :
Les tout petits enfants ont le cœur si sensible !
Mais l’ange des berceaux vient essuyer leurs yeux
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux que leur lèvre mi-close,
Souriante, paraît murmurer quelque chose.
Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent le front ;
Et leur vague regard tout autour d’eux repose.
Ils se croient endormis dans un paradis rose…
Au foyer plein d’éclairs chante gaiement le feu ;
Par la fenêtre, on voit là-bas un beau ciel bleu ;
La nature s’éveille et de rayons s’enivre ;
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil,
Et, dans le vieux logis, tout est tiède et vermeil,
Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire :
On dirait qu’une fée a passé dans cela !…
— Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris… Là,
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose.
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants,
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : « à notre mère !  »