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Oui, si l’on considère le but, qui était la réalisation de la République ; non, si l’on considère le moyen, qui était le meurtre de la République.

L’insurrection de juin tuait ce qu’elle voulait sauver. Méprise fatale.

Ce contresens étonne, mais l’étonnement cesse si l’on considère que l’intrigue bonapartiste et l’intrigue légitimiste étaient mêlées à la sincère et formidable colère du peuple. L’histoire aujourd’hui le sait, et la double intrigue est démontrée par deux preuves, la lettre de Bonaparte à Rapatel, et le drapeau blanc de la rue Saint-Claude.

L’insurrection de juin faisait fausse route.

En monarchie, l’insurrection est un pas en avant ; en république, c’est un pas en arrière.

L’insurrection n’est un droit qu’à la condition d’avoir devant elle la vraie révolte, qui est la monarchie. Un peuple se défend contre un homme, cela est juste.

Un roi, c’est une surcharge ; tout d’un côté, rien de l’autre ; faire contrepoids à cet homme excessif est nécessaire ; l’insurrection n’est autre chose qu’un rétablissement d’équilibre.

La colère est de droit dans les choses équitables ; renverser la Bastille est une action violente et sainte.

L’usurpation appelle la résistance ; la République, c’est-à-dire la souveraineté de l’homme sur lui-même et sur lui seul, étant le principe social absolu, toute monarchie est une usurpation ; fût-elle légalement proclamée ; car il y a des cas, nous l’avons dit[1], où la loi est traître au droit. Ces rébellions de la loi doivent être réprimées, et ne peuvent l’être que par l’indignation du peuple. Royer-Collard disait : Si vous faites cette loi, je jure de lui désobéir.

La monarchie ouvre le droit à l’insurrection.

La République le ferme.

En République, toute insurrection est coupable.

C’est la bataille des aveugles.

C’est l’assassinat du peuple par le peuple.

En monarchie, l’insurrection c’est la légitime défense ; en République, l’insurrection c’est le suicide.

La République a le devoir de se défendre, même contre le peuple ; car le peuple, c’est la République d’aujourd’hui, et la République, c’est le peuple d’aujourd’hui, d’hier et de demain.

Tels sont les principes.

Donc l’insurrection de juin 1848 avait tort.

  1. Préface du tome Ier, Avant l’exil. (Note du manutcrit.)