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150 DEPUIS L’EXIL. — PARIS. — 1871.

écrivains, je suis fidèle à l’habitude de ma vie entière. Jeune, dans une ode adressée à Lamartine, je disais :

Poëte, j’eus toujours un chant pour les poètes ; Et jamais le laurier qui pare d’autres têtes

N’a jeté d’ombre sur mon front.

Donc paix en littérature, mais guerre en politique. Désarmons où nous pouvons désarmer, pour mieux combattre là où le combat est nécessaire.

La République en ce moment est attaquée, chez elle, en France, par trois ou quatre monarchies j tout le passé, passé royal, passé théocratique , passé militaire, prend corps à corps la Révolution. La Révolution vaincra, tôt ou tard. Tâchons que ce soit tôt. Luttons. N’est-ce pas quelque chose que d’avancer l’heure ?

De ce côté encore, relevons la France. France est synonyme de liberté. La Révolution victorieuse, ce sera la France victorieuse. Ce qui met le plus la Révolution en danger, le phénomène artificiel, mais sérieux, qu’il faut surtout combattre, d’autant plus effrayant qu’il séduit la foule, le grand péril, le vrai péril, je dirais presque le seul péril, le voici : c’est la victoire de la loi sur le droit. Grâce à ce funeste prodige , la Révolution peut être à la merci d’une assemblée. La légalité viciant par infiltration la vérité et la justice, cela se voit à cette heure presque dans tout. La loi opprime le droit. Elle l’opprime dans la pénalité où elle introduit l’irréparable, dans le mariage où elle introduit l’irrévocable, dans la paternité, déformée et parfois faussée par les axiomes romains, dans l’éducation d’où elle retire l’égalité en supprimant la gratuité, dans l’instruction qui est facultative et qui devrait être obligatoire, le droit de l’enfant étant ici supérieur au droit du père, dans le travail auquel elle chicane son organisme, dans la presse dont elle exclut le pauvre, dans le suffrage universel dont elle exclut la femme. Grave désordre, l’exagération de la loi. Tout ce qui est de trop dans la loi est de moins dans le droit. Les gouvernants, assemblées souveraines ou princes, ont de l’appétit et se font aisément illusion. Rappelons-nous les sous-entendus de l’assemblée de Bordeaux, qui a été depuis l’assemblée de Versailles, et qui n’est pas encore l’assemblée de Paris. Cette assemblée, dont j’ai l’honneur de ne plus être, avait vu le plébiscite du 8 mai et croyait tout possible par le suffrage universel. Elle se trompait. On incline aujourd’hui à abuser du pouvoir plébiscitaire. Le gouvernement direct du peuple par le peuple est, certes, le but auquel il faut tendre j mais il faut se défier du plébiscite -, avant de s’en servir, il importe de le définit} la politique est une mathématique, et